Rencontre avec Luc Templier, écrivain, plasticien et calligraphe

Publié le 9 janvier, par Sylvie Hendrickx, Valérie Detry


Littérature et alchimie

C’est au cœur d’une exposition consacrée à ses fascinantes calligraphies au sein de la nouvelle bibliothèque La Célestine à Namur que nous rencontrons Luc Templier. Tour à tour, écrivain, dramaturge, plasticien et calligraphe, cet artiste franco-belge, diplômé de la Sorbonne en « Arts plastiques et Sciences de l’Art » vit à Marche-en-Famenne où il battit depuis trente ans une œuvre multiple faisant dialoguer littérature et arts en une profonde alchimie. Au départ de ses enthousiasmantes calligraphies de textes littéraires, il nous partage sa vision engagée de l’art et son exploration de la notion d’identité, fil conducteur de son œuvre romanesque et de ses ateliers d’écriture.

V.D. Exposer vos œuvres au sein d’une bibliothèque, comme celle où nous nous trouvons, revêt-il pour vous une résonance particulière ?

L.T. Les bibliothèques sont en effet un écrin rêvé pour mon travail qui s’inscrit en lien avec la lecture et la littérature. Je calligraphie des phrases d’auteurs qui me touchent, des souvenirs de lectures importantes que je garde ainsi à portée de regard.

V.D. Et vous allez plus loin en calligraphiant des livres entiers ! Pouvez-vous nous parler de ces œuvres hors du commun ?

L.T. Ma démarche vise à offrir une expérience différente, celle de contempler un livre plutôt que de le lire. Je calligraphie ainsi des livres d’environ 200 pages sur une seule feuille donnant à voir son contenu, comme une œuvre d’art, à travers le choix des couleurs d’encres et des ondulations du texte calligraphié. Embrasser un livre d’un seul regard est une entreprise troublante dont il se dégage, à mon sens, une poésie certaine.

S.H. Depuis Stupeur et tremblements d’Amélie Nothomb à L’Alchimiste de Paulo Coelho, en passant par La Nuit de feu d’Éric-Emmanuel Schmitt, comment choisissez-vous les livres que vous calligraphiez ?

L.T. Je réalise en quelque sorte ma bibliothèque idéale, avec toujours cette aspiration de pouvoir l’embrasser d’un seul regard, comme au sein de cette exposition. Je choisis par ailleurs des textes qui offrent cette alchimie entre le souffle du contenu et un titre puissant, qui constitue le visage, la porte d’entrée du livre. Ma dernière œuvre, qui a nécessité cinq mois de travail, présente les quatre Évangiles calligraphiés en une seule page de deux mètres de hauteur ! Ces textes sont d’une poésie incroyable.

V.D. Presque tous les auteurs dont vous avez calligraphié les livres ont réagi en écrivant sur la prouesse de votre démarche. D’autres également se sont laissés inspirer par votre travail dans le cadre de votre ouvrage 52 méditations pour vivre (Dervy, 2011).

L.T. En effet, et ce livre constitue à mes yeux un petit miracle. Je suis parti de phrases que j’ai écrites ou collectées au fil de mes lectures et dont j’ai réalisé des calligraphies. J’ai ensuite demandé à différents écrivains tels qu’Armel Job, Bernard Tirtiaux, Eva Kavian,… de m’offrir un texte original à partir de chacune. Il en résulte 52 textes inspirants, un pour chaque semaine de l’année.

V.D. Tout aussi inspirant, votre ouvrage Éloge de l’artisan (Weyrich, 2014) définit ce dernier comme un résistant face à la course effrénée de notre époque. Par votre travail de « copiste contemporain », pensez-vous également faire acte de résistance ?

L.T. Tout à fait, mon travail de calligraphie est une forme de résistance face à l’écrit qui disparait et à la littérature qui se vend globalement moins bien, à l’exception de trop rares segments éditoriaux. C’est également un acte de résistance face à la disparition du geste de l’écriture pour laisser place au virtuel et jusqu’à cette incursion inquiétante de l’intelligence artificielle dans la création.

S.H. Quel regard précisément portez-vous sur l’I.A. ?

L.T. Je suis inquiet pour les générations futures si la création devait être réduite à paramétrer une intelligence artificielle et à appuyer sur un bouton. Je pense cependant que la créativité humaine est loin d’être remplaçable, notamment en raison de ce qu’on appelle la sérendipité en créativité. Ce terme désigne l’aptitude à se servir de l’imprévu et de l’inconnu au cours du processus créatif. C’est ce qui optimise la créativité mais aussi ce qui rend nos vies passionnantes, loin de toute répétition et monotonie.

S.H. Votre importante réflexion autour de la création transparait également dans votre ouvrage L’Art de vivre. 52 lettres à une jeune artiste (Dervy, 2016). Quel est, selon vous, le rôle de l’art dans notre société ?

L.T. L’artiste possède le pouvoir de dénoncer, de donner voix à une réalité. L’art est un puissant levier du changement. C’est pourquoi j’ai une foi totale en l’art et sa capacité de sauver le monde. L’artiste a cependant, selon moi, un devoir d’espérance, celui de glisser dans son œuvre un soupçon de lumière, au-delà du total désenchantement.

S.H. Votre dernier roman, L’Imposteur, paru en 2023 chez Academia, laisse quant à lui peu de place à la lumière !

L.T. En effet, exceptionnellement, dans ce dernier roman, j’ai osé aller au bout de la noirceur et du sordide. Ce roman aborde le sujet des abus sexuels et constitue une charge très violente contre l’Église romaine. Je pense cependant que cela peut aider certains de se dire : « je ne suis pas seul, d’autres dénoncent ». De manière générale, j’écris sur ce qui est le plus éloigné de moi. La violence, je ne la connais pas vraiment personnellement. Je suis donc allé interroger beaucoup de monde, des prêtres, des victimes. Ce qui devient intéressant pour moi dans cette démarche créative, c’est que je ne soupçonnais même pas que je pouvais écrire dans ce registre.

S.H. Vous traitez dans ce roman de la question de l’identité, du vrai et du faux, comme dans vos trois romans précédants et dans certaines de vos pièces de théâtre, avec cependant chaque fois des angles bien différents…

L.T. C’est en effet une question qui me passionne ! Le sujet de l’identité et des multiples masques que nous portons est sans fin. En réalité, que sommes-nous prêts à dire de nous ? On s’arrange tous avec notre biographie ! Dans Le Maître de Waha (Desclée de Brouwer, 1999), cette thématique est abordée à travers le destin d’un imagier sculpteur du Moyen Âge. Et dans Les derniers jours du Moi (Weyrich, 2018), à travers celui d’un homme rentré de guerre qui, découvrant son nom sur le monument aux morts de son village, se lance dans une folle quête identitaire. Enfin, L’Imposteur, c’est la mise en scène du masque qui trompe jusqu’au bout et de manière dramatique.

V.D. Avez-vous actuellement d’autres projets d’écriture dont vous pourriez nous donner, en primeur, un avant-goût ?

L.T. J’ai la chance d’avoir récemment vécu un mois de résidence d’écriture à Rome qui m’a permis de nourrir un nouveau projet de roman. Celui-ci traite à nouveau de cette question de l’identité à travers, cette fois, le parallèle entre l’archéologie et l’introspection. Creuser la terre et creuser en soi, chercher et se chercher, trouver le trésor archéologique et le trésor intérieur…

S.H. Cet intérêt pour nos identités multiples rejoint les ateliers d’écriture de biographies imaginaires que vous menez en bibliothèques. De quoi s’agit-il et quels en sont les objectifs ?

L.T. Ces ateliers sont également en lien avec une autre part de mon travail de plasticien dans lequel je m’amuse à m’inventer des vies improbables et à les mettre en scène. Je crée ainsi des tableaux qui présentent des formes d’expansion surréaliste de ma vie, tenant du jeu et de l’autodérision. Lorsque je propose ce type d’atelier, je vais amener les gens à écrire, en amplifiant des situations vécues ou totalement inventées et ce, à l’aide de nombreuses consignes, que je considère comme sources de créativité. L’imaginaire est un terrain rêvé pour encourager les gens à s’offrir un espace de liberté et décomplexer le rapport à l’écriture, avec humour.

V.D. Cette importance d’offrir des espaces de liberté grâce à l’art et aux livres se reflète également par votre implication dans la vie culturelle de la province de Luxembourg où vous habitez et en particulier dans le fameux Prix Horizon du deuxième roman qui vous tient tant à cœur ?

L.T. En effet, au niveau culturel, j’ai notamment été conservateur du musée de Marche qui avait été fermé et que j’ai eu la chance de recréer pendant 10 ans. Quant au Prix du deuxième roman, c’est un très beau projet ! Les premiers romans sont déjà valorisés par de nombreux prix et on sait combien le second roman est un livre qui peut être difficile pour un auteur. Nous sommes déjà à la cinquième édition de ce prix bisannuel organisé depuis 2012 par la ville de Marche-en-Famenne en partenariat avec la Province de Luxembourg, sous la présidence d’Armel Job. Il est ouvert à tous les écrivains de langue française publiés à compte d’éditeur dans un pays francophone. Un jury, dont j’ai fait partie jusqu’ici, lit quarante romans et en sélectionne cinq qui seront soumis à des comités réunissant près de 2000 lecteurs en tout ! Chacun vote pour un de ces romans lors d’une après-midi où tous sont invités à assister à un spectacle en présence des cinq auteurs. En matière de démocratisation de la culture, c’est une dynamique formidable !

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Les coups de cœur artistiques de Luc Templier