Notre équipe vous livre ses coups de coeur littéraires

Publié le 22 janvier, par Sylvie Hendrickx


MACE Marielle, Une pluie d’oiseaux, éditions Corti, 2022

Coup de coeur de Valérie Detry

Dans quelques jours, la Cop 28 de Dubaï se clôturera avec des informations très peu optimistes, tant sur le réchauffement climatique que sur l’état de la biodiversité sur notre planète et, notamment cette importante menace sur les récifs coralliens. L’avifaune n’échappe pas à la gangrène et de nombreuses études attestent d’un nombre important d’espèces disparues ces dix dernières années. Devant ce constat alarmant, de nombreux chercheurs, dont Baptiste Morizot en France ou, plus près de nous, la philosophe et éthologue Vinciane Despret de l’Université de Liège, sensibilisent à l’urgence de repenser nos liens avec le vivant au travers de leurs différents livres. Une pluie d’oiseaux, de la plume de l’essayiste française, Marielle Macé, s’inscrit dans cette même veine et nous incite, elle aussi, à tendre une oreille attentive aux alertes de ce sinistre déclin. Dans ce merveilleux ouvrage paru aux éditions Corti en 2022, elle explore précisément les liens profonds que nous entretenons, depuis si longtemps, avec les oiseaux. Une pluie d’oiseaux, c’est voir s’éteindre ces voisins si particuliers, qui nous font lever les yeux, redoubler d’attention, sourire, s’émerveiller de leur beauté comme de leur vulnérabilité et raconter tant d’histoires. Et c’est toute l’aventure de la sensibilité dans ce monde abîmé qui demande à être reconsidéré, rebranché au vivant autrement. Cette docteure en littérature, amoureuse de poésie, d’anthropologie, mais aussi de grammaire se consacre à observer la façon dont les oiseaux nous font parler, dont on « parle » avec eux. Elle soutient que la parole et le soin qu’on y met font partie de nos responsabilités écologiques et que les poètes, comme Saint François, peuvent nous accompagner dans cet effort de mieux qualifier, honorer et élargir nos relations « avec » le vivant. C’est donc à un tout nouveau rendez-vous enthousiasmant avec l’oiseau et cette importance de « l’écologie du lien », que ce livre nous convie de façon si enthousiasmante.

SAENEN Frédéric, L’enfance unique, Les Impressions nouvelles, 2023

Coup de coeur de Sylvie Hendrickx

Parue initialement en 2017 aux éditions Weyrich, cette autobiographie de l’auteur et critique littéraire liégeois, Frédéric Saenen, fait l’objet cette année d’une réédition au sein de la collection patrimoniale « Espace Nord ». Une invitation à (re)découvrir ce texte riche de multiples facettes dans lequel l’auteur ressuscite avec tendresse son enfance dans la campagne de Grâce-Hollogne des années 70-80. Là, il s’éveille au monde aux côtés de sa mère, de ses grands-parents maternels et en l’absence de son père, dans un univers clos et rassurant. Chronique d’une famille liégeoise, ce récit d’enfance se révèle à la fois générationnel, à travers de nombreuses références culturelles mais surtout propres à l’auteur, uniques par cette « atypique configuration familiale » qui ouvre le récit à une dimension de filiation et de quête identitaire. Témoignant du caractère précieux de ces instants de construction personnelle, Frédéric Saenen y rend en effet un hommage touchant à ses grands-parents : mamie, fière de ses lointaines origines françaises et grand popa au parler concret et rocailleux. Car le monde de l’enfance dans lequel nous transporte avec sensibilité Frédéric Saenen est un monde tout en sensation où la perception visuelle bien sûr mais surtout sonore occupent une place prépondérante. Cet enseignant de FLE, particulièrement sensible à l’oralité et la musicalité de la langue, nous livre en effet une exploration de son amour et de son rapport intime, presque viscéral, à la langue première, le wallon. La langue de la spontanéité et de l’expressivité, toujours tapie en lui, telle une « colonne vertébrale » structurante. Cette importance de la dimension sonore se reflète dans son texte à travers un travail poétique de la langue, entre accumulation, métaphores subtilement filées et néologismes expressifs. L’omniprésence de mots et d’expressions en wallon est proposée à travers plusieurs petits glossaires entrecoupant le texte, non pas des définitions sclérosées, mais des explications en résonnance avec son vécu et qui se lisent comme une série d’anecdotes éclairantes dans la continuité de son récit. Cette autobiographie de « Petit d’On », surnom affectueux donné par grand popa à cet enfant sans père évoque également le passage délicat vers l’âge adulte où le défaut de figure paternelle se compense notamment dans l’attrait du jeu. Un texte sincère, sans complaisance ni faux semblant mais touchant par son humour et son importante force expressive.

FLEURY, Cynthia, Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, Gallimard, 2020.

Coup de coeur d’Emmanuelle Detry, membre du C.A de la FIBBC et coordinatrice PECA pour le SeGEC

Mon choix s’est porté sur cet essai lu récemment, en version poche. Dans Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, Cynthia Fleury mène habilement une double analyse de l’amertume, personnelle et sociétale, et en pointe les dangers dès lors que l’aigreur agit en tant que moteur d’action. Elle démontre à quel point quand nos choix, nos orientations et celles de la politique se basent sur le ressentiment, veulent à tout prix et avant tout réparer les non-reconnaissances, les brimades et les inévitables blessures, c’est alors l’envie de vengeance - toujours un gigantesque leurre -qui prédomine. Les conséquences sont souvent néfastes et ouvrent une voie royale au fascisme, interpersonnel comme institutionnel. Cet essai décortique brillamment les mécanismes à l’œuvre en nous et dans le monde, et comment, amers, ils deviennent un puissant poison auto-destructeur
« La philosophie politique et la psychanalyse ont en partage un problème essentiel à la vie des hommes et des sociétés, ce mécontentement sourd qui gangrène leur existence. (…) il faut dépasser la peine, la colère, le deuil, le renoncement et, de façon plus exemplaire, le ressentiment, cette amertume qui peut avoir notre peau alors même que nous pourrions découvrir son goût subtil et libérateur. »
Ce livre est aussi un plaidoyer pour un regard lucide sur les buts individuels et collectifs poursuivis, au nom de qui ou de quoi nous entamons des combats, et, au fond, avec quelles visées nous parlons et agissons au quotidien.

ZUSAK Markus, La Voleuse de livres, Oh ! Éditions, 2007

Coup de coeur de Chloé Geron

Dans le contexte lourd de tensions que l’on connaît actuellement à la suite des différents conflits, l’on aurait parfois tendance à vouloir se positionner. Mais le faut-il vraiment ? Est-il toujours indispensable de trancher pour l’un ou l’autre camp ? L’auteur australien Markus Zusak nous incite à plus de nuances avec son 5e roman jeunesse La Voleuse de livres paru chez Oh Editions en 2007 et adapté au cinéma six ans plus tard. Il prend le parti de nous plonger, en pleine Seconde Guerre mondiale, parmi les habitants d’une petite ville allemande tranquille. Là-bas, il nous invite à suivre la jeune Liesel Meminger dans sa nouvelle vie auprès de ses parents adoptifs, les Hubermann. L’une est grossière et un peu bourrue en apparence, l’autre est calme et affectueux, mais tous deux possèdent un courage et une compassion exceptionnels qui constitueront à la fois leur plus grande force et leur plus grande faiblesse. L’originalité de l’écrivain repose sur son choix narratif. Ce n’est pas la fillette qui raconte sa propre histoire, mais bien le personnage de la Mort qui, bien que surmenée en cette période tragique, est intriguée et touchée par cette petite. Cette narratrice, pour le moins hors du commun, retrace en les commentant ses différentes rencontres avec Liesel. C’est dans un climat de rationnements, de menaces des bombardements alliés, de surveillance par le Parti (nazi), de manque de travail, ou encore de petits méfaits pour survivre que Liesel va s’éveiller bien difficilement aux mots. Ces mots mystérieux, puissants, interdits, imprononçables, mais ces mots écrits, lus et relus. Elle va aussi dérober son premier livre sur le tas fumant d’un autodafé, épisode qui déclenchera quelque chose en elle et l’incitera à recommencer. Certains passages sont tirés des souvenirs mêmes des parents de Zusak, une Allemande et un Autrichien qui ont conté à leurs enfants ces histoires de leur enfance, parfois drôles, quelquefois absurdes, ou encore impensables, offrant un autre angle de vue, celui de simples Allemands spectateurs impuissants du génocide juif, mais également victimes de cette guerre. Cette narration originale dans sa nature comme dans sa forme, nous présente des personnages attachants sans une seule touche de superficialité et nous dévoile la complexité de la réalité en nous invitant à ouvrir nos perspectives en toute situation conflictuelle.

GROFF Lauren, Matrix, Editions de l’Olivier, 2023

Coup de coeur de Françoise Vanesse

C’est dans le brouillard de paysages tétanisés par le froid que débutent les premiers pas de ce roman, pourtant ô combien lumineux et incandescent. Ceux-ci nous mènent à la rencontre d’une réjouissante et étonnante personnalité, Marie de France, que les livres d’histoire mentionnent comme une poétesse du XIIème siècle et dont Lauren Groff s’attache ici à imaginer le parcours romanesque. Injustement chassée de la cour de France par Aliénor d’Aquitaine, la voici qui prend la route de l’exil. Et, malgré des conditions de voyage d’une rudesse désarçonnante, elle rejoint sa destination : une abbaye située au plus profond de la campagne anglaise, endettée, principalement organisée grâce à la « mécanique grinçante » d’un déliquescent « troupeau de nonnes » en proie à la malemort et la malefaim… Et dont la reine lui a attribué, en cadeau, la fonction de nouvelle Prieure !
Mais, contrairement aux descriptions glauques mais pénétrantes de la première partie, le lecteur ne s’enlisera nullement dans les marais bourbeux de ces terres lointaines ! Bien au contraire car la majeure partie du roman s’attache à nous décrire tout un cheminement de renaissance et de résurrection auréolé de ce subtil portrait de femme. Un profil assurément moderne et dont la beauté résulte avant tout de son intelligence et d’une indomptable passion qu’elle va mettre au service de cette sensible communauté en déréliction. Celle-ci, bénéficiant de cette personnalité à la fois rude mais empathique, parviendra peu à peu à retrouver le chemin d’une reconstruction bâtie sur les fondements d’une pédagogie extrêmement positive. Si l’on s’attache à Marie et à toutes ces compagnes, aux personnalités souvent meurtries mais courageuses, on est également subjugué par le style narratif pénétrant de l’autrice. Lauren Groff a en effet l’art de naviguer entre roman historique et récit onirique ; toujours avec beaucoup d’ingéniosité et un style et vocabulaire s’apparentant, dans certains passages, aux récits médiévaux. Terminons enfin par souligner l’éloge du rôle bienfaisant que l’autrice attribue à l’écriture car celle-ci, en tout moment névralgique, permettra à la Prieure-poétesse de transcender les épreuves…