Ludothèque de Saint-Ghislain

Publié le 9 janvier, par Sylvie Hendrickx


Une dynamique réflexive autour du jeu

En route pour Saint-Ghislain, ville de l’arrondissement de Mons au centre de la province de Hainaut, pour y découvrir son étonnante ludothèque communale qui, à côté de ses activités de prêts, partage avec ses usagers et au sein des écoles une réflexion globale sur l’action de jouer et sur le jeu en tant qu’objet culturel : que nous apporte le jeu d’un point de vue anthropologique et en termes d’apprentissages, comment en transmettre le goût, instaurer une dynamique ludique avec ses proches et faire des choix éclairés au cœur de l’importante offre actuelle ? Voici quelques atouts de cette équipe à la dynamique réflexive : Thomas Piperidis et Ludivine Messin, tous deux personnel fibbc !
 
 
 
 
 

Un parcours atypique

En plein cœur de la Cité de l’ours, à proximité des commerces et de différents établissements scolaires, nous voici à la ludothèque, située stratégiquement en face de la bibliothèque communale La Rollandine, dont elle partage la responsable, Fabienne Gérard. Une belle visibilité encore renforcée par de larges vitrines mettant en valeur des jeux pour tous les âges. Notre curiosité déjà éveillée par ce riche panel, nous poussons les portes et sommes reçues au sein de l’espace « jeu de société » par ce duo visiblement complice et complémentaire. Aussitôt, Thomas entame la partie en nous contant le parcours atypique et relativement récent de cette ludothèque créée en 2013, suite à la fermeture de la « Petite bibliothèque des familles » située à Hautrage, un des sept villages de l’entité de Saint-Ghislain. Ce changement de cap, destiné à enrichir l’offre culturelle de la commune sans faire doublon avec La Rollandine, conduit les deux bibliothécaires de l’époque, Lydia Bauwens et Françoise Meunier, à rebattre leurs cartes afin d’investir un nouveau métier. Deux ans plus tard, suite au départ à la pension de Lydia Bauwens, un nouveau maître du jeu, Thomas Piperidis, passionné de psychopédagogie, embraye pour imaginer et développer en une dizaine d’années la spécificité de ce projet de ludothèque. Il est rejoint, en 2021, au départ de Françoise Meunier, par une nouvelle co-équipière convaincue et habituée de la ludothèque, Ludivine Messin, ingénieure de gestion et animatrice.
 

Jeu en famille : entre partage et sensibilisation

S’appuyant sur la solide mise de leurs expériences respectives, le duo poursuit un premier axe prioritaire : le jeu en famille, créateur de liens. Et l’équipe s’emploie, dans cette optique, à tirer le meilleur parti de ses locaux : un rez-de-chaussée, loué par la commune et anciennement occupé par une banque, divisé en deux espaces conviviaux mais relativement étriqués. Le premier, où nous nous trouvons est consacré aux jeux de société et a fait l’objet, l’année dernière, d’une totale réorganisation suite à l’obtention, très attendue, d’un budget pour du nouveau mobilier. Au centre de ces nouvelles étagères blanches et modulables, une table invite à se poser et prendre le temps de jouer. Il en va de même pour l’espace « jeu libre » situé sur notre droite et séparé par une paroi vitrée. Petite cuisine, poupée, jeu de construction et dinosaures en plastique se côtoient sans surcharge au sein de cette section essentielle aux yeux de l’équipe. « Nous sensibilisons les parents au fait que le jeu de société, souvent réclamé et survalorisé par rapport au jeu libre, ne constitue qu’une toute petite partie du jeu chez l’enfant », souligne Ludivine. « Nous appuyons notre argumentation sur le système ESAR – Exercice, Symbolique, Assemblage, Règles ». Cet acronyme bien connu des ludothécaires en tant que système de classification est ici utilisé pour expliciter le parcours ludique de l’enfant. Celui-ci passe en effet des jeux d’exercices (hochet, toupie, ballon,…), aux jeux symboliques (imitation) et aux jeux d’assemblage (puzzle, Lego, Kapla,…) essentiels au développement d’une série de fonctions cognitives (motricité fine, langage,…) avant de développer, vers 6-7 ans, un intérêt, non exclusif, pour le jeu de société.
 
 

Jeux libres en classe : une démarche originale et motivée

En parallèle, l’équipe propose en classes de primaire des animations offrant aux enfants de choisir individuellement entre jeux de société et jeux libres (jeux créatifs, d’imitation, de construction,…) Une démarche originale, motivée par des données de psychopédagogie et à la tactique bien rodée ! « Cette organisation nous permet d’animer de plus petites tables de jeux au sein de classes très peuplées et de mettre en évidence l’intérêt pédagogique de différents types d’activités ludiques. » Le duo regrette cependant une demande décroissante au-delà de la deuxième primaire. « Nous pourrions proposer aux plus grands des jeux plus ambitieux en termes de concentration et de réflexion mais nous constatons que la culture de l’école réduit encore trop souvent le jeu à sa dimension récréative », relève Ludivine. La règle maîtresse de ces animations : un réel partenariat avec l’enseignant garanti par une réunion préalable et la signature d’une convention. Miser sur le qualitatif plutôt que le quantitatif, voilà en effet la stratégie nécessaire de cette équipe, qui avec un trois-quarts temps et un mi-temps, assure trois jours d’ouverture au public et se situe au cœur d’un territoire dénombrant pas moins de 13 établissements d’enseignement fondamental ! « Malgré nos moyens limités et en dépit d’un impact peu visible sur la fréquentation de la ludothèque, l’école reste un vecteur pour toucher une mixité de publics sur notre territoire dont une part de la population est précarisée », souligne l’équipe qui organise également des animations en maison de repos et propose des dépôts de jeux aux éducateurs et animateurs de différentes associations.
 

Ludopédagogie : un nouveau projet spécifique

Avec encore bien des atouts dans leurs manches, les ludothécaires développent également depuis un an un nouveau projet ambitieux et spécifique de ludopédagogie avec deux classes de première primaire à l’école communale Jean Rolland de Saint-Ghislain. Intégré au plan de pilotage de l’école, celui-ci consiste à proposer une fois par semaine, en plus des animations avec jeux libres, des séances de « jeux dirigés » sélectionnés en étroite collaboration avec l’enseignant et en lien direct avec les apprentissages. Dans ce cadre, les ludothécaires développent un fonds, non destiné au prêt, de jeux à visée pédagogique mais pas uniquement ! « Les sciences cognitives révèlent que l’attention est fonction du plaisir. Il est essentiel dans nos choix que le vecteur ludique reste supérieur au vecteur pédagogique », précise Thomas Piperidis. Un pari gagnant dont le bilan actuel révèle des impacts positifs tant sur les facilités d’apprentissage que sur le développement de la culture du jeu de société chez les enfants.

 

Nouveautés, innovation et jeux expert

Et aucun doute, lorsque l’on parcourt ses rayonnages, que cette culture du jeu est résolument ancrée au cœur de cette ludothèque dont le fonds de près de 1200 jeux présente, aux côtés des jeux libres, familiaux et pédagogiques, encore bien des spécificités ! L’une d’entre elles consiste à proposer régulièrement et rapidement les nouveautés parues dans l’année, grâce au confortable budget d’acquisition de 6000 euros octroyé par la commune. Un parti pris qui nécessite un élagage régulier au profit des écoles ou de différentes associations partenaires mais également un roulement au sein du fonds grâce à une petite réserve où sont notamment conservés les classiques des jeux modernes. « Ces jeux bien connus sont disponibles sur demande. L’ensemble de notre catalogue étant accessible via le site et l’application Myludo  », précise Ludivine. L’équipe souhaite en effet donner la priorité aux jeux qui nécessitent davantage leur médiation que ce soit au sein des rayonnages ou au cours des soirées jeux organisées une fois par mois à destination des ados et adultes. Ainsi, le rayon bien achalandé des jeux expert est visible dès l’entrée de la bibliothèque, tandis que l’équipe met en avant, aux côtés des jeux mainstream, de nombreux autres au concept innovant ou provenant de maisons d’édition plus confidentielles. « Avec près de 1000 jeux de société qui sortent chaque année, il est essentiel d’aller voir au-delà des redites très présentes sur ce marché saturé », conseille Thomas. Et c’est sur cette passion commune à faire découvrir et ouvrir à de nouvelles façons de jouer que nous clôturons cette réjouissante partie en compagnie de ce dynamique duo qui, avec conviction, avance ses pions pour sensibiliser au jeu, sous toutes ses formes, en tant qu’activité culturelle à part entière.

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Ludothèque de Saint-Ghislain
Avenue de l’Enseignement, 3
7330 Saint-Ghislain

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