La Lunette magique de l’École libre de Theux

Publié le 23 septembre, par Chloé Geron


Trouver une bibliothèque dans une école maternelle et primaire peut déjà sembler inhabituel, mais en faire un projet pédagogique transversal à part entière, relève plutôt de l’exception. C’est pourtant l’initiative ambitieuse qu’a poursuivie l’École libre de Theux (ville située un peu à l’est du centre de la province de Liège), en 1979, à la création de La Lunette magique. Cette bibliothèque qui poursuit, dès l’origine, l’objectif de faire de la lecture un plaisir…

 

Une intention au long cours

Par une des dernières journées de printemps, au ciel dégagé et lumineux, nous passons le porche de l’école theutoise qui porte encore les stigmates des inondations du mois de juillet 2021. Ce qui, heureusement, est loin d’être le cas de la bibliothèque qui a fait partie des priorités de la restauration, plus de 5000 ouvrages étant partis à la dérive.

Après avoir gravi une ou deux dizaines de marches, nous franchissons la porte et surprenons, sans l’interrompre, une scène touchante. Dans une pièce carrée de belle dimension rendue lumineuse par ses grandes fenêtres, nous découvrons plusieurs petits groupes d’enfants rassemblés autour d’un conteur ou d’une conteuse, absorbés par les illustrations des albums dont on leur fait la lecture. Certains penchés vers l’avant, d’autres à demi tournés, tous semblent vivre un moment familier. Au milieu d’un cercle, une jeune enfant feuillette elle-même un album posé sur ses genoux. Nous relevons la tête et commençons par effectuer un saut dans l’histoire de ce lieu bientôt quinquagénaire...

Il y a 45 ans, le comité des parents d’élèves, désireux de répartir ses forces, crée une équipe « culture ». Et c’est à la lecture d’un article du Ligueur rendant compte de l’initiative, à Rixensart, d’une mère de famille de créer une bibliothèque dans son quartier, que Josette Delfosse, alors enseignante et mère, a l’idée de suggérer la constitution d’une bibliothèque pour l’école. Tandis qu’elle nous raconte avec un enthousiasme manifeste les prémices du projet, elle se remémore les multiples noms qui en ont jalonnés le parcours.

Rapidement, le plan est approuvé. Une rencontre est organisée dans le Brabant wallon puis un échange de pratiques dans une école, à Dison. Le projet est en marche ! Porté au départ par une demi-douzaine de bénévoles et sans moyens, il est très vite question d’organiser des activités afin de récolter de l’argent : concerts, spectacles avec restauration, animations et diverses ventes (dont des livres de recettes illustrés par des élèves). Chacun donne du sien : une petite pièce à côté de la garderie est cédée, le mari de Josette se charge de l’ameublement, d’autres de la peinture, etc. Il s’agit non seulement de faire entrer des livres jeunesse au sein de l’établissement scolaire — ce qui n’est déjà pas une mince affaire à une époque où la production de littérature pour la jeunesse n’est pas aussi florissante qu’aujourd’hui—, mais aussi de créer un espace de vie confortable où il fait bon s’attarder.

Deux ans plus tard, leurs efforts finissent par porter du fruit : le budget permet d’acheter près de 180 livres, des responsables de permanence pour les prêts sont désignés pour chaque classe et un comité de lecture convient de se rassembler plusieurs fois l’année pour choisir les livres à acquérir. Le 6 janvier 1981, une grande fête d’inauguration est donnée. Une dizaine d’animations (contes, filage de laine, danse, etc.) sont organisées et des invités de marque répondent présents (notamment le bédéiste René Hausman).

Quelques mois d’activités suffisent pour convaincre complètement le corps enseignant que la Lunette est un « puissant moyen de culture », comme en témoigne la lettre qu’une institutrice envoie, en juin 1981, à « l’équipe de la L.M., si pleine d’enthousiasme et d’imagination ».
 
 

Cap sur l’horizon de la lecture-plaisir

Le logo de La Lunette magique (un bonhomme qui observe le lointain à travers sa longue vue) pensé et conçu par quelques parents connaissant parfaitement le monde de l’enseignement, symbolise bien l’objectif principal du projet qui est de donner à voir au-delà des lectures scolaires, la lecture personnelle à la rencontre d’autres univers et imaginaires...

Comme le répète si bien le directeur, monsieur Hamtiaux : « L’école peut donner le goût, mais peut aussi dégoûter certains enfants de lire. Il y a des adultes aujourd’hui qui n’aiment pas lire à cause de l’école ! »

Ne dédaignant ainsi aucune porte d’entrée en lecture, le comité en charge des collections ne néglige aucun genre. Roman, documentaire, BD, manga, il y en a pour tous les goûts. Les classiques des lectures scolaires (manuels historiques et romans traditionnels) côtoient les nouveautés et les sujets les plus variés, au rythme des changements de la société. Pour l’aiguiller dans cette tâche, le comité peut compter sur les relations étroites qu’il entretient avec la bibliothèque communale de Theux et quelques librairies jeunesse, véritables partenaires assurant la pérennité du projet. L’ambition actuelle est de reconstituer un fonds de 10 000 ouvrages pensé et composé en concertation avec les enseignant·e·s et les élèves.
 
 

Confort, autonomie et modernité

Tout est pensé pour que la bibliothèque soit « un lieu de vie au quotidien », nous assure Lionel Hamtiaux, ancien enseignant et actuel directeur de l’école primaire depuis 15 ans. Comme ses prédécesseurs, MM. Alard, Lodez et Delhaze, il défend le dispositif au sein du plan de pilotage de l’institution « car la lecture est un levier essentiel de l’apprentissage en général ». Au fur et à mesure du temps et de ses déménagements (notamment après les inondations de juillet 2021), la Lunette magique a évolué, tout en conservant la même ligne de conduite.

Équipée d’un clever touch [écran interactif] et d’un fonds en reconstitution, la bibliothèque est à la fois un lieu de recherches, un outil pour les enseignant·e·s, mais aussi un espace de détente, régulièrement visité et facilement accessible. En effet, chaque élève de l’école a l’occasion, hebdomadairement, de vivre avec sa classe, une animation autour de la lecture qui soit adaptée à son âge : lecture apéritive ou intégrale pour les plus jeunes, participation au Prix Versele, production d’écrits ou encore découverte de l’histoire du manga pour les plus grands. Les animateurs et animatrices, bénévoles du comité de parents, se forment sur le sujet et accompagnent les classes ainsi que leur enseignant dans ce moment privilégié de la semaine.

Située judicieusement au-dessus de la garderie, la bibliothèque devient, en dehors des heures de cours, un lieu d’accueil temps libre différent, prônant le calme et l’autonomie, un espace zen, accessible librement et sans contrainte, si ce n’est le respect du lieu et de sa fonction (rappelé initialement dans un petit feuillet appelé « kaléidoscope » et sur un petit signet à l’effigie de la bibliothèque donné à chaque enfant). Une ambiance renforcée par le mobilier en bois mobile et sur mesure, les niches cocooning blotties au creux des étagères, les bancs munis de coussins faisant office de bacs de rangement, le petit gradin et les sièges encastrables, qui nous évoquent de petits trônes ; chacun étant le maître de sa propre lecture. Pour compléter le tableau, sur les murs, de petites étagères indépendantes côtoient la plaque d’identification de la Lunette magique (le bonhomme à la longue vue) et un grand panneau coloré arborant une paire de lunettes, dont les verres sont remplis des signatures des élèves, rappelant l’inauguration de ce nouveau local.
 
 

Un engagement collectif et durable

Cependant, les bibliothèques d’école ne bénéficiant d’aucune reconnaissance officielle, tous leurs moyens sont assurés en interne. Le directeur de l’établissement primaire en a bien conscience et est reconnaissant du travail conséquent fourni par les animateur·rice·s avec les élèves, mais aussi dans l’ombre (achats, encodages, classements, etc.), tâches que connaissent fort bien les bibliothécaires des bibliothèques publiques. En outre, pour subvenir à ses besoins financiers, l’équipe de bénévoles de La Lunette magique (qui a compté jusqu’à 30 personnes à son apogée), dont certains impliqués depuis plus de 20 ans, met au défi sa créativité et organise diverses actions au succès manifeste : autour de 150 personnes participent à la balade contée, une année sur deux, le petit déjeuner annuel suscite l’intérêt de 300 à 400 personnes, etc.

Ce tableau idyllique ne doit toutefois pas masquer les obstacles rencontrés depuis le début de l’aventure (manque de bénévoles, rendez-vous manqués des classes, réclamations inquiètes de certains parents, avancées technologiques, pandémie, inondations, etc.) qui ont entravé la pérennité du projet, mais que l’équipe de volontaires et l’école ont toujours surmontés avec résilience et en se réinventant sans cesse !
 
 
 
 

Une ressource précieuse et à charge exclusive

La bibliothèque est un atout pour l’école, une plus-value pour les parents, qui, comme les grands-parents ou l’entourage proche, sont d’ailleurs invités à participer à l’animation hebdomadaire de leurs enfants. Un privilège que gardent d’ailleurs en mémoire les anciens élèves. Ainsi, Audrey, institutrice primaire ayant quitté son banc d’écolière il y a une quinzaine d’années, se rappelle de ces moments hors du temps et de l’intérêt pratique d’avoir une bibliothèque au sein même de l’école : « C’est une caverne d’Ali Baba remplie de trésors. Actuellement, en temps qu’enseignante, c’est quelque chose qui me manque dans mon école. »

Il est en effet à regretter que cette initiative ne soit pas plus courante et que de tels projets n’obtiennent pas de moyens officiels qui leur permettent d’offrir à chaque enfant l’opportunité de découvrir la lecture sans prétexte, juste pour soi, et d’accéder aux livres librement. C’est grâce à ce genre de vivier que le plaisir de la lecture attire de nouveaux adeptes, à n’en pas douter !

Nous assistons au rituel de départ en chanson des enfants de 3e maternelle, nous nous attardons un instant dans la cour, proche d’un espace vert privatif, Le Jardin de Pierrot, dont bénéficie également l’école, et puis nous quittons l’enceinte de cet établissement scolaire aux promesses littéraires de toutes directions, au gré de la boussole personnelle de chacun…
 

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La Lunette magique
École libre de Theux
Rue Hovémont, 30 B
4910 THEUX

087 54 13 30