Zaü, illustrateur jeunesse en lien avec les éditions Rue du monde

Publié le 15 octobre 2012, par Sylvie Hendrickx


Les éditions Rue du monde soufflent leurs quinze bougies ! Quinze années de créativité, d’indépendance éditoriale et d’engagement au cours desquelles la maison n’a cessé d’enrichir son catalogue proposant aujourd’hui plus de deux cent soixante titres jeunesse de qualité ! Les bibliothécaires du Jardin Perdu de Seraing ont souhaité mettre à l’honneur cette production destinée à « interroger et imaginer le monde » qui mêle avec bonheur éducation à la citoyenneté, ouverture aux autres cultures, sensibilisation à l’environnement et poésie. Aussi, dans le cadre de l’opération « Aux livres citoyens », le 2 mai dernier, ils ont accueilli l’illustrateur d’albums jeunesse Zaü, collaborateur emblématique de la maison d’édition depuis sa fondation. Pendant une heure trente de dialogue avec Chantal Cession, coordinatrice de l’asbl Les Ateliers du Texte et de l’Image, Zaü a fait découvrir aux bibliothécaires et étudiants présents son parcours professionnel varié et coloré, les fondements de sa démarche et plus encore son travail de collaboration avec Rue du monde.

Petit résumé, sous forme lexicale, des points abordés lors de cette enrichissante rencontre.

P comme Publiciste

Après une brève incursion dans le secteur jeunesse –Nonante de Grospilon paru en 1967 n’inaugure rien moins que le catalogue de l’école des loisirs ! – Zaü évolue principalement dans l’univers exigeant et formateur de la publicité. Pendant vingt ans, l’illustrateur est « ruffman ». « Le travail consiste à dessiner toutes les campagnes de publicité avant qu’elles soient présentées au client. J’ai rempli des millions de feuilles de papier, c’était magique parce que c’était tout ce que j’aimais : dessiner du vivant, des scènes quotidiennes. Plus que l’école de dessin, c’est cette expérience dans l’univers de la publicité qui m’a formé à dessiner la vie. »

E comme Efficacité

Ces années dans la publicité ont confronté Zaü à un impératif communicationnel qui continue aujourd’hui encore à nourrir et orienter son travail. « L’esthétisme est une notion difficile à définir, je m’en méfie. Je préfère un livre moins joli mais efficace qu’un ouvrage trop beau qui le soit moins. » Cette soif d’efficacité, Zaü l’a rencontrée dans le fonctionnement des éditions Rue du monde. « Alain Serres est quelqu’un qui va jusqu’au bout de ses idées. La structure de sa maison est petite, peu compartimentée et très cohérente. Elle permet d’aller fortement au combat. »

Q comme Question de sens

Dessinateur « touche à tout » entre 1970 et 1990, Zaü avoue avoir aimé « travailler pour tout le monde dans toutes les directions sans y mettre de sens particulier ni d’état d’âme mais du savoir-faire. » La cour couleur : anthologie de poèmes contre le racisme, sa première collaboration avec Alain Serres parue en 1997, va ouvrir l’illustrateur à un nouveau type de démarche. « J’avais fait jusque-là quelques livres sympathiques pour les familles, sur les liens familiaux etc… mais il n’y avait pas ce sens que met Alain Serres dans ses bouquins, qui va au-delà d’un gentil et joli livre. C’est très curieux, quand vous travaillez avec lui, le sens profond n’est pas la première chose qu’il vous expose. On parle d’images, de techniques, de textes... mais au final, on s’aperçoit que les valeurs sont là. »

F comme Faiseur d’images

Zaü n’envisage pas son travail au sein de Rue du monde dans une perspective de maîtrise totale mais plutôt sur le thème de la collaboration et de la confiance. « Très souvent, Alain Serres me raconte les histoires à illustrer avant que les textes ne soient écrits. Ainsi, mes dessins peuvent servir de tremplin à son écriture. C’est un peu du travail à l’envers mais j’ai été habitué par la publicité à mettre en image ce que les gens me racontaient. Cette façon de procéder est quelque chose qui me nourrit : on est ainsi plus libre d’y mettre tout ce qu’on souhaite : ses sensations, son talent… ça élargit le champ des possibles. Je rentre donc dans ses bouquins un peu à l’aveuglette et je les découvre véritablement quand ils sont finis. Je ne suis pas le faiseur du livre. Je suis un faiseur d’images dont Alain Serres fait un livre. »

A comme Aventure graphique

Aux jeunes attirés par le domaine de l’illustration, Zaü conseille l’audace et l’ouverture. « Les écoles d’art ont tendance à pousser à avoir un style personnel, expliquant qu’il faut être différent des autres pour démarrer dans la profession. Méfiez-vous cependant de ne pas vous enfermer… Même lorsque vous n’êtes pas certain de maîtriser une technique, restez dans le voyage graphique. » Auteur d’une œuvre qui peut effectivement dérouter par sa diversité, Zaü souligne son souci de doter chacun de ses livres d’une identité propre. « J’ai la conviction profonde que le grand public ne connait pas les auteurs ni les illustrateurs mais craque pour des livres qui le touche. Cela m’autorise à réaliser un livre complètement différent à chaque fois. »

C comme Culture artistique

L’illustrateur reconnaît dans son œuvre la part d’influence de sa culture artistique et de ses fascinations. « J’ai été totalement fasciné par des artistes comme Gabrielle Vincent dans le domaine de l’illustration jeunesse ou Hugo Pratt dans celui de la bande dessinée. Il y a chez eux une espèce d’efficacité dans le minimum, une paresse dans le dessin qui n’y laisse que l’essentiel. J’ai également aimé les couleurs des impressionnistes, des fauves… Toute création vient forcément de ce qui nous a précédés. L’important est de trouver l’interstice pour avancer entre les gens qui nous fascinent. On y parvient par le travail. En dessinant sans cesse, on recycle et on s’éloigne. »

R comme Rue du monde

Au cours de sa carrière, Zaü a illustré plus de septante ouvrages dont une vingtaine parus chez Rue du monde. Si cette collaboration ne revêt pas pour Zaü de dimension exclusive - on le retrouve en même temps chez d’autres éditeurs tels Nathan, Flammarion, Casterman…-, elle s’avère cependant étroite et importante pour l’illustrateur tant sur le plan quantitatif qu’identitaire. « Il m’est arrivé de dédicacer des livres sous l’emblème Gallimard, je n’en ai vendu que quelques-uns alors que chez Rue du monde, je vends en continu. J’en suis venu à me demander si c’est l’illustrateur en tant que tel ou la maison d’édition qui existe. En fait, plus j’y réfléchis, plus je pense que c’est un assemblage des deux qui parfois fonctionne bien. Les lecteurs qui ont une certaine culture des « maisons d’édition » vont vers celles qui leur plaisent et y découvrent des illustrateurs. Je ne reflète pas la maison Gallimard mais j’ai l’image Rue du monde. Et je m’y sens chez moi ! »

A comme Alain Serres

Dès leur première collaboration, autour de La cour couleur : anthologie de poèmes contre le racisme paru en 1997, Zaü est interpellé par la personnalité d’Alain Serres. « Quand vous venez de la publicité, un projet de livre comme celui qu’il m’a proposé pose question. D’emblée, j’ai été curieux de ce garçon qui démarrait une maison d’édition sans argent avec des souscriptions aux bibliothèques et un bouquin qui n’était absolument pas commercial. Je me suis dit soit il se plante, soit c’est génial ! Et ça a fonctionné. »

C comme Une cuisine grande comme le monde

Si Zaü collabore avec Rue du monde depuis sa fondation, c’est la parution de l’ouvrage Une cuisine grande comme le monde qui, en 2000, élargit sa notoriété auprès du public. Ce livre de recettes grand format richement illustré est aussi une invitation à découvrir les autres cultures. « On a peu l’occasion en édition jeunesse de faire des images de ce format-là. Le défi consistait à représenter ce qui reste dans la tête quand on est allé quelque part, une sensation. » Avec aujourd’hui septante mille exemplaires vendus, ce livre est l’un des ouvrages « pilier » de la maison d’édition.

S comme secteur jeunesse

Comme Alain Serres, qui a adressé en janvier 2011 une lettre ouverte « A l’attention des critiques littéraires et de tous ceux qui n’ont pas encore eu la chance de rencontrer un bon livre jeunesse », Zaü croit en la qualité et l’importance du secteur de littérature jeunesse. « Le livre jeunesse jouit actuellement d’une grande créativité de la part d’illustrateurs très différents les uns des autres. C’est cette diversité des albums de jeunesse qui permet d’ouvrir les enfants à l’artistique, qui leur donne une culture du dessin, l’envie peut-être de voir des œuvres d’art, d’aller dans les musées… »

N comme Numérique

Au terme de cette rencontre, Zaü a attiré l’attention des personnes présentes sur un questionnement d’actualité qui lui tient à cœur : que va devenir l’illustration jeunesse avec le numérique ? « Je crains l’écriture électronique parce que le grand plaisir de ma carrière a été de manipuler des craies, des pastels, de l’encre de chine, du papier... Je crains la virtualité du dessin, le fait que l’on arrive à des couleurs bien plates, bien parfaites parce que c’est plus pratique à mettre en mouvement, en animation. J’ai peur qu’on en vienne à des dessins « électroniques » qui perdent un peu leur âme. Peut-être que les jeunes graphistes, nés avec un ordinateur devant les doigts, auront des solutions face à cela… »

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Cette rencontre, organisée dans le cadre de l’opération « Aux livres citoyens », est le fruit d’une collaboration entre la bibliothèque du Jardin Perdu de Seraing, le Service des bibliothèques et Service de la reliure, Les Ateliers du Texte et de l’image ASBL et la ville de Seraing.