Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon

Publié le 9 janvier 2020, par Sylvie Hendrickx


La rêverie douce-amère d’un détenu sur son bonheur perdu. Prix Goncourt 2019.

DUBOIS Jean-Paul, Tous les hommes n’habitent pas le monde de la même façon, Editions de l’Olivier, 2019

Le 4 novembre dernier, l’écrivain toulousain Jean-Paul Dubois a décroché le très prestigieux Prix Goncourt, devant Amélie Nothomb, pour ce roman savoureux, aux accents mélancoliques et à l’humour féroce. Fidèle en effet au regard amusé et désillusionné qu’il porte sur notre humanité à travers la vingtaine de romans que compte son œuvre, l’auteur retrace cette fois le destin chaotique et fascinant d’un homme qui habite le monde à travers le prisme de son bonheur perdu. Ancien concierge dévoué et respectable de la résidence L’Excelsior, Paul Hansen purge depuis deux ans une peine d’emprisonnement pour un crime énigmatique, « ni gravissime, ni anodin », qui ne nous sera révélé qu’à l’extrême fin de ce récit. Dans l’atmosphère glacée du Pénitencier de Montréal, il partage une cellule exigüe et entretient une fraternité forcée avec un Hells Angels aux débordements imprévisibles et aux phobies cocasses. Pour échapper à cette promiscuité, Paul convoque auprès de lui la présence apaisante et fantomatique de trois défunts tendrement aimés et se laisse aller à une rêverie nostalgique qui nous révèle rapidement que plus rien ni personne ne l’attend au dehors. Alternant avec la description de son misérable quotidien carcéral, ses souvenirs d’un bonheur révolu se révèlent tendus autour de la révélation progressive du parcours atypique qui a conduit cet homme honnête à se retrouver en prison, dans une telle solitude. Trajectoire d’une déchéance annoncée, ce récit retrace la vie entière de Paul et nous amène à parcourir des milliers de kilomètres depuis la France de son enfance, jusqu’au Canada de son épouse indienne algonquine, en passant par l’extrême Nord du Danemark natal de son père. Retraçant plus d’un demi-siècle d’existence, à partir de sa naissance en 1955, ses souvenirs nous font également traverser des époques bousculées par le souffle du changement et dessinent, à travers le naufrage du couple formé par sa mère soixante-huitarde et son père pasteur à la foi vacillante, le portrait saisissant d’un monde en proie à la fin des certitudes. Fresque désenchantée d’un bonheur perdu et de la fin d’un monde, ce roman aux personnages inoubliables est une pépite, un éblouissant concentré d’humanité !