Recherche et pragmatisme : une dualité épanouissante

Publié le 18 octobre 2017, par Françoise Vanesse


En bibliothèque, autrement !

Focus sur les missions de Dominique Chalono, documentaliste à la cellule numérisation du réseau des bibliothèques de l’Université de Liège et sur le projet open access, ORBi [1].

C’est entourée de machines de tailles impressionnantes, scan à plat, scan en V et un robot automate dernier cri, que Dominique Chalono nous accueille. Nous sommes au cœur de la cellule de numérisation du réseau des bibliothèques de l’Université de Liège où elle est engagée, à mi-temps, en tant que documentaliste aux côtés de deux collègues : Jean-Charles Winkler et Marie Jost. Une mission inhabituelle pour cette jeune bibliothécaire qui, lorsqu’elle entreprend son graduat en bibliothéconomie, est loin de s’imaginer qu’une grande partie de son emploi du temps va être consacré à photographier des centaines de pages de livres anciens et à les valoriser au moyen de techniques très pointues ! "J’aime les livres et la lecture et j’aurais pu m’orienter en philo-lettres mais j’ai toujours ressenti l’envie de mettre mes connaissances au service de projets très concrets".

Ce lien avec l’aspect pragmatique du métier, Dominique Chalono a donc la chance de l’entretenir dans sa profession actuelle. Une mission qui consiste en un processus balisé d’étapes très structurées vu l’enjeu capital que cette numérisation représente pour ce service universitaire vigilant à conserver et à valoriser son patrimoine d’exception (environs 6700 documents manuscrits et plus de 550 incunables).

Premièrement, la numérisation c’est à dire la transformation en images des ouvrages présents dans les collections dont de nombreux manuscrits médiévaux et renaissants menacés par le vieillissement naturel de leurs composants ou parfois conservés dans des conditions instables. Une fois ceux-ci acheminés à la cellule, il s’agit d’évaluer leur état : un diagnostic réalisé en concertation avec la conservatrice, Cécile Oger, ou la responsable du service de numérisation, Stéphanie Simon. Celui-ci est déterminant car il débouche sur le choix du type de traitement et de la machine adéquate. Cette étape effectuée, Dominique prend les rênes : le scan physique du document, la partie la plus chronophage et parfois rébarbative vu son aspect répétitif, inévitable ! S’ensuivent le traitement des images, l’encodage, le choix du mode de diffusion le plus approprié aux besoins des utilisateurs de la bibliothèque et le dépôt sur la plateforme en ligne créée spécifiquement pour l’occasion : DONum [2]- Dépôt d’Objets Numérisés (http://donum.ulg.ac.be/). Cette ultime étape qui englobe la description extrêmement précise du document est déterminante car elle confère au livre toute sa visibilité. Tout comme les expos thématiques virtuelles sur lesquelles planche régulièrement l’équipe et qui consistent en une page web réalisée en fonction d’un thème. L’ensemble de ces démarches est guidé par la même exigence de méthodologie scientifique et de compétence spécifique : à savoir, une numérisation ciblée, effectuée avec un très haut degré d’exigence technologique. "Nous appartenons à un service universitaire dont la volonté n’est pas de numériser en masse, explique Dominique Chalono. Nous devons donc nous entourer des meilleures garanties technologiques car notre travail doit être pérenne" . [3]

Mais de quelles compétences spécifiques doit-elle faire preuve ? Tout d’abord, il faut pouvoir être très patient car le côté répétitif du travail est parfois lourd à gérer : deux heures et demi sont nécessaires pour scanner à plat un ouvrage de deux cents pages ! Quant à la précision, elle est évidemment de mise ! "En effet, les opérations que nous effectuons exigent que nous fassions preuve d’un important souci du détail. Un pouce sur le bord de l’image par mégarde et on recommence" , souligne-t-elle. Et cette exigence voulue par ce service universitaire se traduit également dans les aptitudes technologiques des membres de cette cellule qui, continuellement, doivent être en alerte vu l’extrême mouvance d’un secteur en plein essor. "Nous devons visiter d’autres institutions, tester des machines ou des logiciels sur le traitement des images utilisés en Belgique ou à l’étranger."

En conclusion, ne faut-il pas pouvoir allier son bagage de documentaliste à des compétences technologiques pointues ? "Tout à fait ! C’est vrai que, vu notre âge, on a des facilités avec tout ce qui relève du technologique et j’ai beaucoup appris par expérience ou suite aux nombreuses formations proposées par le service. Mais je déplore le déficit de mes études sur l’aspect technologique de la profession. Par contre, s’il y a bien un aspect dont je souligne l’intérêt dans ces études, ce sont les stages qui nous confrontent à des expériences professionnelles différentes et valorisent l’expérience".

De l’expérience, Dominique Chalono en acquiert car, engagée dans ce service depuis quatre ans, elle se réjouit de participer à cette mutation dans l’histoire du livre et affirme aujourd’hui avoir le goût et les compétences pour un métier qui lui offre l’avantage de continuer à se former et à approfondir ses connaissances. "Manipuler ces anciens documents me permet de les côtoyer, il y a un aspect un peu sentimental il est vrai. Mais surtout, je découvre des données, comme par exemple de nombreuses informations sur les différents matériaux utilisés, que j’ignorais auparavant."

Sans oublier cette belle dualité qui allie l’aspect électronique et le contact avec le livre physique ? "Oui, c’est assez interpellant car je travaille essentiellement avec des documents électroniques mais, parallèlement, l’amour des anciens livres est là. Tous ces rapports sont complémentaires. Le débat manichéen qui entend confronter les tenants du livre papier et du livre électronique m’énerve ! Car nos interventions ne sont pas là pour remplacer le livre ancien ou simplement le support papier mais bien pour leur permettre d’avoir une deuxième vie et de mieux rayonner. D’autre part, il faut bien garder à l’esprit que la numérisation permet une lecture différente que celle à l’œil nu comme des focus sur certaines images dont certains détails seraient passés inaperçus sans ce processus. Cela permet également à des personnes venant de l’étranger, chercheurs ou amateurs, d’accéder à nos collections sans devoir se déplacer".

L’avenir de cette profession, Dominique Chalono l’envisage très positivement. "C’est une profession qui va aller croissant mais j’insiste pour que les étudiants bibliothécaires aient davantage de cours liés à la communication spécialisée sur Internet. La maîtrise de l’environnement web doit être davantage mise en avant et formalisée dans ce parcours scolaire" .

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Cette galerie contient un aperçu des 49 manuscrits numérisés et des liens vers la version en ligne à feuilleter ainsi que vers la description réalisée dans le catalogue.

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[1] Répertoire institutionnel de l’Université de Liège : http://orbi.ulg.ac.be/

[2] Il existe également une autre plateforme regroupant tous les documents numérisés par les bibliothèques universitaires francophones belges participant au projet DONum : DONum-Bicfb - http://donum.bicfb.be/

[3] En 2014, la cellule de numérisation du réseau des bibliothèques de l’Université de Liège a participé au Plan PEP’s de la Fédération Wallonie-Bruxelles : Plan de Préservation et d’Exploitation des Patrimoine. 49 manuscrits médiévaux et renaissants ont été isolés dans les collections comptant plus de 6000 manuscrits, pour leur valeur esthétique, historique ou culturelle. Deux des manuscrits sont d’ailleurs classés comme "Trésors" de la FWB. La plupart de ces manuscrits dont des témoins de la vie religieuse dans nos régions, du 13e au 16e siècle. Le plan PEP’s a été renouvelé en 2015 et 2017.