Polyvalence et maîtrise

Publié le 3 avril 2019, par Françoise Vanesse


En bibliothèque autrement !

Focus sur les missions de Thierry NUCERA, relieur à la Bibliothèque du Séminaire de Liège.

C’est dans la salle de lecture qui jouxte la réserve précieuse de la bibliothèque du Séminaire que nous rencontrons Thierry Nucera, relieur affecté à cette bibliothèque publique liégeoise avec ses collections spécialisées en religions, en arts mais également son fonds impressionnant de livres anciens. Et en effet, avec ses milliers de volumes, incunables et manuscrits, originaires d’anciennes bibliothèques religieuses liégeoises, on imagine que le travail ne manque pas tant au niveau de la restauration que de la conservation. Si la majorité des livres a traversé les siècles sans trop de difficultés, certains ont néanmoins subi les outrages du temps et nécessitent des soins particuliers. Un véritable patrimoine─ plus de trente mille imprimés et manuscrits dont le plus ancien date de la fin du Xe siècle ─ qu’il convient de préserver et de mettre en valeur par des animations spécifiques à l’attention de tous. Par ailleurs, c’est toujours avec émotion que l’on pénètre au cœur de cette réserve précieuse dont Thierry nous ouvre maintenant les portes et que nous nous approchons de livres qui, à l’instar de ces cinq volumes des « Délices du Pays de Liège » de Saumery, sont logés sur de très hauts rayonnages de bois datant du 19e siècle. Voici une partie de cet imposant patrimoine qui sort à présent de sa réserve car Thierry nous présente, avec grande précaution, certains incunables sur lesquels il est intervenu comme ce missel liégeois datant des années 1478-1480, probablement unique au monde… Des restaurations similaires, Thierry en a réalisées de nombreuses que ce soit dans leur globalité avec des interventions sur les couvertures et la tranche ou par l’entremise de boîtiers protecteurs spécialement adaptés.

Ce fonds, Thierry le côtoie au quotidien depuis 1998, date de son engagement par le responsable, Yves Charlier, alors à la recherche d’un ouvrier polyvalent, prêt à répondre à différentes attentes en matière de technologie et d’informatique mais disposant aussi d’aptitudes manuelles dans la perspective d’endosser la fonction de relieur. "Quand j’ai été engagé à la bibliothèque, il y a maintenant vingt ans, je ne disposais pas des compétences que je possède aujourd’hui, nous confie-t-il. "Certes, je suis un grand bricoleur et ma formation d’électricien m’a toujours demandé de la minutie mais je n’y connaissais pas grand-chose en reliure ! J’ai donc démarré, dès mon engagement, un processus de formation auprès d’une professionnelle indépendante, ravi de me spécialiser". C’est ainsi que, pendant une année, Thierry apprend à apprivoiser la reliure. "Une technique exigeante qui demande beaucoup de soin et de précision et exclut toute envie de brûler les étapes, précise-t-il avec le sourire, en évoquant le souvenir de son travail de restauration de la reliure des douze volumes de l’œuvre magistrale de Théodore Gobert, « Les rues de Liège »  !

Aujourd’hui, le chemin d’auto-formation parcouru a fait de Thierry Nucera un maillon bien spécifique de l’équipe de la bibliothèque qui, de par la configuration de son fonds, induit des tâches et des compétences bien distinctes. Tout d’abord, l’approche qui concerne les ouvrages en prêt et qui relève de tâches très fonctionnelles, qu’il s’agisse de la reliure des périodiques ou de la réparation des livres du libre accès dont Thierry déplore d’ailleurs l’importante fragilité actuelle. "Les reliures d’aujourd’hui et l’encollage industriel sont de moins en moins résistants et on ressent comme une obsolescence programmée au niveau de certains livres". Vient ensuite la partie la plus motivante du travail car elle exige des aptitudes plus pointues et concerne le fonds ancien. On pointe deux tâches bien distinctes dans ce domaine dont la principale consiste en la restauration de l’aspect extérieur comme solidariser les plats avec les dos, réparer les charnières ou intervenir au niveau des couvertures en réintroduisant du cuir. La seconde mission est relative à la création de boîtiers protecteurs. Tous ces gestes exigent la même précision que pour un travail de reliure basique mais les matériaux sont tellement différents qu’ils débouchent inéluctablement sur un savoir-faire spécifique que Thierry a appris à maîtriser en se documentant mais aussi en mettant au point différents petits trucs et astuces personnalisés !

Et en effet, plus on dialogue avec Thierry Nucera, plus on découvre cette volonté de s’approprier les différentes techniques à des fins créatives. Tout d’abord au travers de l’apprentissage de la dorure sur tranche ou sur couverture au moyen de fers bien particuliers et qui exige patience et minutie. Mais également par la réalisation de nouveaux livres, de petits carnets originaux réalisés au départ de feuilles récupérées dans d’anciennes revues voire de la confection de boîtiers pour livres d’artistes. Ces réalisations, de facture contemporaine, diffèrent profondément de l’environnement du fonds précieux mais témoignent précisément de l’importante ouverture aux arts et à la création de la bibliothèque du Séminaire. Ils mettent également en valeur un travail plus personnel et permettent à Thierry des expérimentations très utiles avec, toujours en point de mire, l’acquisition de nouvelles techniques. "De façon générale, j’essaie souvent de sortir des sentiers battus, je mets parfois au point des techniques que je n’ai pas apprises, un peu intuitivement et qui me permettent de gagner du temps, en qualité et en efficacité pour boucler mes différents projets", conclut-il !

Et des projets, Thierry n’en manque pas comme proposer un prolongement à l’animation développée par ses collègues et intitulée « Autour du manuscrit », par un volet plus spécifique consacré à la reliure ; réintégrer son atelier initial actuellement en totale rénovation et disposer du temps nécessaire pour continuer sa démarche créative ou encore mettre sur pied un atelier de reliure "récup’". "Ce métier est complet et complexe, il peut se réaliser en exécutant des gestes basiques mais permet aussi d’aller plus loin, de laisser la place à l’imagination et ainsi de déboucher sur l’artistique. On est ouvrier, artisan mais aussi artiste pour celui qui le souhaite !"

Bibliothèque du Séminaire Episcopal de Liège