La jeune fille à la perle

Regards croisés sur de la plume au pinceau

Publié le 5 novembre 2007, par Gérard Durieux


Un long regard, feutré d’ombres et de silences, sur la société de l’époque de Vermeer mais surtout sur un des portraits les plus énigmatiques réalisés par l’artiste.

CHEVALIER Tracy, La jeune fille à la perle, Quai Voltaire, 2000 (Folio 3648)

Seules 35 toiles nous sont parvenues du maître de Delft. Et l’on ne connaît presque rien de la vie de Vermeer, mort à 43 ans en 1675. Parmi les portraits peints par cet artiste des plus énigmatiques, celui de la Jeune fille au turban (ou à la perle) habite nos mémoires d’une troublante luminosité.

Qui donc est-elle, dame ou servante, qui nous envisage de ses grands yeux ouverts depuis toujours ? De quelle source de pureté et d’innocence « brille ce regard lisse, impénétrable et vivant, à l’éclat de la nacre dans la douceur de la chair » (J.M.G. Le Clézio) ?

Tracy Chevalier nous livre sa réponse de femme dans un fort beau récit classique qui mérite relecture.

Griet a 16 ans quand, de famille protestante, elle entre en 1664 au service de la nombreuse famille de maître Vermeer, « papiste ». Tout son univers bascule alors et commence une lente initiation qui durera deux ans. En laissant les siens, elle change en effet d’univers géographique religieux, culturel et social ; affronte la mesquinerie et la méchanceté des conflits relationnels ; commence à être remarquée par les hommes (du gentil boucher au graveleux boulanger) tout en s’épuisant dans les tâches serviles et quotidiennes.

Seules ses sorties au marché, ses rares retours en famille et son travail dans l’atelier du maître font brèche dans ce monde confiné, routinier et soupçonneux.

Laissant l’enfance et son père symboliquement aveugle, ce cœur simple devient femme sous le regard aigu du peintre « aux yeux gris ». Elle se rêve choisie par le maître mystérieux et complexe. Elle sera délaissée par l’artiste ambitieux et le mari soumis qu’il est aussi. Victime de la jalousie d’une épouse, Catharina , avec qui elle n’a cessé d’entretenir une relation à « couteaux tirés ».

Le roman de Tracy Chevalier, riche par ailleurs d’une suggestive évocation de la société de l’époque, tient tout entier dans un seul long regard. Furtif d’abord, feutré d’ombre et de silence, puis lentement réciproque, jusqu’à l’émotion des moments de pose en vue du tableau fatidique : « le regardant me regarder ».

Les peintres sont disciples de la lumière et VERMEER est un maître en la matière : au centre de son tableau, la perle, ce point de lumière qui « fait un tout d’un ensemble de détails séparés et distincts ».

De même, au cœur de son récit à la croisée de l’art et de la quête spirituelle, la romancière américaine aura posé le visage de cette « Joconde du Nord » : lumineux d’étonnement et de fascinante intimité. Pour le bonheur sans cesse renouvelé du dialogue silencieux de la lecture, sans répit à l’écoute d’un unique chant de lumière.