Grâce et dénuement

Publié le 24 novembre 2008, par Gérard Durieux


Plus qu’un reportage chaleureux sur le monde des gitans, un roman d’émotion qui évoque le combat de la vie contre la mort et la mise au monde par la lecture d’enfants sans parole.

FERNEY Alice, Grâce et dénuement, Babel 409, 2000

Ce pourrait n’être qu’une description réaliste et empathique du « monde des gitans ». Un reportage chaleureux. L’approche bienveillante, par cette romancière sensible, d’une réalité sociale méconnue, d’un peuple étranger, craint, tenu à distance aux marges sordides des cités. Le récit évoque, en effet, les membres vibrants d’un clan de manouches « qui ne possèdent que leur caravane et leur sang » : la grand-mère Angéline, ses cinq fils, les belles filles et les petits enfants.
Vies âpres, relations violentes, rebelles jusqu’à la marginalité, mais régentées pourtant par des lois internes implacables. Existences inexorablement marquées par la fatalité et la résignation, offertes à la haine ou à la compassion.

Ce pourrait n’être encore que l’histoire d’une improbable rencontre : Esther, une gadjé , mère de trois garçons, débarque dans cette tribu farouche pour « lire des histoires aux enfants ». On apprendra peu sur cette infirmière de quarante ans, devenue bibliothécaire.

Sinon que sa vitalité fervente et fidèle, que son talent de lectrice vont peu à peu lui gagner l’attachement des enfants du camp, puis des adultes.. Chaque mercredi elle met en oeuvre ses convictions : « Je crois que la vie a besoin des livres. Je crois que la vie ne suffit pas ».
Alors, elle « lira comme si cela pouvait tout changer », tous les classiques de la littérature enfantine. Intense plaidoyer pour le pouvoir des histoires, ce roman déroule ainsi le parcours attachant d’une affection qui se noue par-delà les différences. Apprivoisement réciproque, amitié gagnée de haute lutte contre la méfiance et le soupçon.

Mais ce roman d’émotion maîtrisée, à l’écriture dépouillée, orchestre surtout et magistralement un autre combat : celui de la vie contre la mort. Fausses couches, accidents mortels, lent suicide, avenir fracassé... Sous toutes les formes, la mort vient ici aux enfants de tous âges. Esther lit donc contre la mort...et l’obtuse brutalité des hommes.

Tout en évoquant le sort fait aux femmes, la narratrice tisse obstinément des liens étroits entre lecture et maternité : « Elle lut avec tendresse pour eux... ». Et ce faisant elle mettait au monde tous ces gosses entassés dans sa Renault jaune.

De la lecture comme une parabole de vie.
Alors, si les mots « proclamés » se font chair, engendrent et rapprochent, qu’est-ce donc qui demandait à renaître dans la vie d’Esther, mystérieuse conteuse au pays des enfants sans parole.