Cueillette de papas

Publié le 14 septembre 2015, par Françoise Vanesse, Sylvie Hendrickx


Papa poule, papa perdu, pas papa, papa pas à pas…
Quatre portraits unis dans leurs différences et qui, avec beaucoup de charisme et aussi une bonne dose d’humour, s’emparent de ce personnage haut en couleur…

JADOUL. E., Papa île, Pastel, 2014

C’est bien connu, tous les papas, en attendant l’arrivée de leur petit, éprouvent de nombreux états d’âme, avoués ou pas… Seront-ils à la hauteur, répondront-ils aux espérances de leur compagne, pourront-ils accomplir l’ensemble des activités que, habituellement, l’on attend d’eux ? Bref, seront-ils des super papas ? Heureusement, certains albums de jeunesse sont là pour apporter des réponses à leurs interrogations existentielles … Car, lorsque l’ours Jean-Louis livre à Betty ses doutes sur ses capacités à être un super papa, celle-ci, avec toute la créativité bien connue et si caractéristique des femelles ours…, lui énumère un éventail de portraits plus atypiques et plus originaux les uns que les autres auxquels il pourrait facilement correspondre et très éloignés des traditionnels rôles que Jean-Louis avait imaginés de prime abord. Et voici donc que naissent, sous la plume d’Emile Jadoul, une galerie de portraits inédits, souvent très poétiques : papa -cabane, papa-avion, papa île... L’énumération est touchante et très attendrissante et on imagine avec enthousiasme la ribambelle de nouveaux portraits originaux qui pourrait émerger de la bouche des petits si on les interrogeait sur le sujet. Un récit limpide et très rassurant à l’image de ce couple d’ours robustes, capables de surmonter ensemble leurs fragilités et, au travers d’une écoute mutuelle, de trouver des solutions à leurs doutes mais aussi de briser les stéréotypes.
F.V.

ROUX. J., Avec papa, Les fourmis rouges, 2014

Dès la première page, le ton est donné avec cette immersion dans un univers graphique totalement novateur : objets à peine esquissés et rehaussés au feutre, décor épuré, personnages silhouettés, traits spontanés. Certains diraient que l’on pourrait croire à des dessins d’enfants ! Or, il n’en est rien même si la frontière, indiscutablement, reste ténue. Et tel semble bien le pari audacieux relevé par cet album qui, de prime abord, respire d’une importante simplicité, d’une grande économie de moyens mais qui, au fil des pages, nous emmène bien plus loin… En effet, ne nous fions pas aux apparences car l’ambiance minimaliste très présente s’estompe rapidement lorsque nous entrons en relation avec les personnages principaux : un duo fort, uni, duquel s’échappe un important charisme : papa et son enfant ! Les voici à l’avant plan ces deux complices, larges silhouettes habillées de grandes plages d’un blanc immaculé desquelles ne jaillissent que quelques traits, esquisses d’un regard, d’une expression. Autant de douceur et de discrétion desquelles percolent une force et un rayonnement incandescents et dans lesquelles chacun pourra aisément se projeter. En résonnance avec cette gamme de nuances qui conjugue force et légèreté, se joint un texte court égrainant, dans une douce musicalité, ces moments de complicité. On est sous le charme de cet univers très personnel, de ce subtil dialogue entre force et douceur, tout en nuances et en profondeurs. Une audacieuse réussite pour cet album signé de Julien Roux et né de la jeune maison d’édition Les fourmis rouges dont le pari est, précisément, d’oser des démarches qui remuent et surprennent.
F.V.

VEILLE E., MARTIN P., Le bureau des papas perdus, Acte Sud Junior, 2013

Décidément, les papas ont la cote, inspirent et font des vagues ! Après le désormais emblématique Papaoutai qui déchaine l’engouement et semble parler à plus d’un enfant, petit ou grand, voici un album de jeunesse qui s’empare de ce personnage haut en couleur ! Il propulse à l’avant de la scène ce fameux papa, le tout dans un scénario complètement déjanté puisqu’il prend corps dans le bureau des papas perdus. Ainsi, après s’être aperçu que son papa avait très inopinément disparu au petit déjeuner, un petit garçon est dirigé vers le bureau des papas perdus où il est censé le retrouver ! Lors de cette recherche très cocasse, nous voici, page après page, plongés au cœur de cette galerie de personnages de papas égarés, parqués, réfugiés ou carrément abandonnés, allez savoir ! Les portraits sont parfois très conformes comme ces papas pleurant et mangeant des biscuits mais il est vrai que la préférence de l’auteur se manifeste vers le côté loufoque des situations avec, par exemple, ces papas néandertaliens jouant aux osselets en attendant désespérément et très patiemment, il est vrai…, d’être délivrés ! Heureusement, après ce parcours très insolite, le personnage principal, retrouvera son papa là où il ne l’attendait pas ! L’aspect décalé du scénario de Pauline Martin est bien desservi par les illustrations d’Eric Veillé qui nous offre un décor un brin suranné et un univers un peu vintage avec un trait graphique s’apparentant à la bande dessinée. Quoique l’humour soit très présent dans cet album, il n’empêche qu’il s’y dissimule une réflexion et un regard parfois ironiques sur cette tribu de papas dont on ignore les raisons qui les ont conduits à échouer dans cette voie de garage… Un discours amusant mais aussi interpellant : à nouveau un bel exemple des doubles lectures que peut présenter la littérature de jeunesse.
F.V.

LAURRENT E., Berceau, Editions de Minuit, 2014

Le berceau du petit Ziad, c’est l’écrin coloré, chaud et envoûtant de sa terre natale, le Maroc. Mais c’est aussi la rudesse et la pauvreté d’un couffin de pouponnière pour enfants abandonnés. Des réalités contrastées au cœur desquelles Eric Laurrent et sa compagne vont s’enfoncer et se fondre pendant plus d’un an et demi pour apprendre à connaître, et surtout tenter de ramener avec eux, ce fils qu’on ne leur reconnait pas vraiment. Car le tourbillon de l’histoire s’en mêle et leur statut de parents est soudain rendu bien précaire par un durcissement des conditions d’adoption pour les couples étrangers. Au fil des jours passés dans l’enceinte de l’orphelinat, au gré des rencontres, des lectures et de l’observation fascinée de l’éveil de l’enfant, le père nourrit une rêverie délicate et poétique, riche en considérations culturelles et esthétiques qui le ramène toujours et immanquablement à l’enfant qu’il découvre, au mystère de ses origines, à l’émerveillement d’une relation filiale naissante mais aussi à son futur incertain et tous les espoirs fondés sur celle-ci. Au moyen d’une écriture en fragments, comme autant de petits instants saisis dans leur simplicité et leur fragilité, l’auteur revisite également l’histoire de son couple privé d’enfant, son parcours personnel, son rapport longtemps problématique à la paternité et les sentiments non dénués d’ambivalence qui accompagnent la lente et progressive adoption affective de son fils. Touchant, ce récit est celui d’un cheminement intérieur essentiel et d’un combat parental tenace pour que le berceau de Ziad devienne enfin les bras de son père.
S.H.