Brigitte HARDY de la librairie "Siloë" de Liège : Spiritualité et visibilité

Publié le 16 janvier 2012, par Françoise Vanesse, Gérard Durieux


Quand on constate l’important travail de promotion du livre réalisé par la librairie « Siloë » de Liège, on est étonné de constater qu’une équipe si restreinte soit à l’origine d’un tel foisonnement. En effet, rencontres d’auteurs pour les adultes et les plus jeunes, animations pour les classes se succèdent à un rythme soutenu. Brigitte Hardy, responsable, a accepté de nous parler de la passion qui anime son équipe. Elle évoque avec nous son bonheur de vivre ce métier dans l’engagement spirituel mais aussi ses appréhensions sur le manque de visibilité de cette librairie liégeoise en quête d’identité et d’une meilleure reconnaissance au sein de la vie culturelle.

G.D. : Il y a dix ans, un tournant important a été pris dans la vie de ce service diocésain qui est passé du statut de « Centre diocésain de documentation » à celui de librairie à part entière en rejoignant le groupement « Siloë ». Pourriez-vous retracer brièvement les circonstances qui ont débouché sur ce changement de statut ?

B.H. : Il y a dix ans en effet, les responsables de l’asbl CDD ( Centre diocésain de documentation ) ont décidé d’amorcer un changement. Il était temps en effet de remettre en question une pratique quelque peu désuète du métier et de redéfinir le projet. Le « Centre diocésain de documentation » était en fait, avant tout, un lieu mettant à la disposition des agents pastoraux les documents nécessaires à l’animation religieuse et à l’enseignement, fonctionnant essentiellement en interne. Une ouverture s’imposait. Après avoir eu vent de l’existence du groupement de librairies « Siloë », spécialisées dans le religieux, les responsables ont décidé de rejoindre ce groupement d’intérêt économique de libraires indépendants qui s’articule autour de différentes formules mais qui, surtout, suppose que l’on adhère à un esprit.

F.V. : Quel esprit ?

B.H. : Promouvoir le livre de spiritualité, le livre qui met en valeur l’intelligence de la Foi, qui peut aider l’homme d’aujourd’hui dans sa recherche de sens un peu comme la fontaine de Siloë à Jérusalem, un lieu symbolique qui « abreuve pour guérir ». C’est ce que tend à être une librairie « Siloë » au cœur d’une ville et c’est cette dynamique là qui a été choisie lorsque nous avons rejoint ce groupement.

F.V. : Précisément, pour pouvoir aider le public dans sa recherche de sens, il faut être repérable facilement. Une fontaine n’est jamais cachée dans des murs… Comment vivez-vous cette ambiguïté, vous qui n’avez pas pignon sur rue et qui êtes logés au cœur du Séminaire ?

B.H. : Oui, c’est vrai, cette situation ambiguë nous questionne profondément car nous ne nous sentons pas sur le chemin des gens… Des lecteurs potentiels ne viennent pas à la librairie soit parce qu’ils en ignorent l’existence, soit parce qu’ils ne souhaitent pas pénétrer dans un lieu trop marqué institutionnellement. Et c’est dommage car la spiritualité n’est pas le monopole des chrétiens et, par notre implantation au Séminaire, certains pourraient croire que nous nous considérons comme des détenteurs de vérité ! Notre envie d’ouverture est lésée en quelque sorte parce qu’il plane encore en effet une trop grande ambiguïté sur ce que nous sommes réellement. Est-ce que nous sommes une librairie « Siloë », c’est-à-dire un commerce avec un projet culturel de promotion du livre, librairie spécialisée dans le religieux et les questions de sens, ou bien est-ce que nous demeurons semblables à des « Centres diocésains de documentation » qui, eux, ont toutes les raisons d’être logés dans les murs d’un Séminaire ou d’un Evêché ?

F.V. : Et pourtant, en choisissant de rejoindre le groupement « Siloë », c’était bien cette dynamique de l’ouverture que les responsables avaient souhaitée ?

B.H. : Oui, c’est vrai, l’envie d’ouverture était bien là. Mais encore faut-il se donner les moyens de vivre l’ouverture et se doter des moyens nécessaires pour la mettre en pratique ! Il faut veiller à la localisation de la librairie et aux moyens mis à la disposition des professionnels qui y travaillent pour exercer un vrai métier de libraire. D’autant plus qu’il y a urgence ! Ce métier change beaucoup avec la vente en ligne, les e-book et le numérique, il faut absolument donner davantage de places à des jeunes bien formés sur la mouvance du métier et qui possèdent les pré-requis technologiques pour naviguer dans cette nouvelle sphère.

F.V. : On vous sent parfois un peu amère sur votre situation ! Et pourtant, vu de l’extérieur, c’est bien une impression de changement positif que l’on perçoit. Quels sont les modifications importantes que vous avez opérées pour trancher avec l’organisation d’un « CDD » ?

B.H. : Il reste beaucoup à faire ! Il faudrait tout d’abord repenser l’organisation de la nomenclature des rayons, certains ont une appellation qui ne parle plus suffisamment aux gens. Le rayon Exégèse par exemple, ou Pères de l’Eglise. De plus, beaucoup de nos contemporains ne cherchent plus les livres par discipline mais nous arrivent avec des questions ou des thèmes transversaux. Ce comportement nous oblige à nous questionner sans cesse sur l’organisation des rayons. C’est dans ce souci de nous rapprocher des clients que nous avons créé le rayon Sens en question qui vise à regrouper des livres confrontant des pensées a priori éloignées, comme la Foi et la psychanalyse, ou les spiritualités et les sciences humaines. Nous partons en effet du principe que les clients doivent pouvoir s’approprier la librairie et donc y mener leurs recherches seuls, tout en sachant que nous sommes entièrement à leur service et capables de les aider à s’orienter s’ils le souhaitent. Mais il faudrait poursuivre en développant davantage cet esprit de dialogue et d’intelligence en présentant des ouvrages rédigés par des auteurs d’autres religions : pas seulement des chrétiens qui parlent du judaïsme mais aussi des musulmans qui évoquent leur religion. On pourrait avoir un bon rayon Islam, Laïcité ou Judaïsme mais là, à nouveau, on est limités par l’emplacement dans lequel on se trouve et qui entrave notre bonne visibilité…

F.V. : Les rencontres que vous organisez contribuent, aussi, à ce souci de meilleure visibilité ?

B.H. : Oui, bien sûr. Ces rencontres sont très importantes pour nous, même si elles nous demandent un surcroît important de travail auquel nous faisons face difficilement. Mais ces moments d’échanges suscitent le questionnement, ce qui est le rôle de la librairie et, de plus, sont de beaux moments de vie tant pour les clients que pour l’équipe. Ce sont ces rencontres qui donnent du sens à notre métier ! Car alors, nous sommes en plein dans notre rôle de passeurs, de conseillers. Et la librairie devient dans ces moments-là un véritable lieu de vie, d’échange et de partage autour de la culture et de la foi. Chaque rencontre est un défi car les clients nous font confiance. De plus, ces soirées nous rendent plus visibles. Or, nous luttons pour être plus visibles !

G.D. : Vous venez d’évoquer votre clientèle. Comment pourriez-vous la décrire ?

B.H. : Les gens qui fréquentent la librairie sont essentiellement des croyants d’une moyenne d’âge relativement élevée. Ce qui pose la question de la pérennité de l’entreprise ! Et il faut bien reconnaître que beaucoup trop de lecteurs potentiellement intéressés ne savent pas que nous existons. Il y a même des chrétiens qui ne nous connaissent pas...

G.D. : Mais les lecteurs qui vous connaissent et qui viennent chez vous, quelles sont leurs caractéristiques ?

B.H. : Il y a d’abord les agents pastoraux, les prêtres et tous ceux qui fréquentent le Séminaire, ce bâtiment où se trouve la librairie. Par exemple les personnes du service de la catéchèse ou encore celles qui se forment au Centre Diocésain de Formation. Pas mal d’enseignants des cours de religion aussi car ils sont en recherche d’outils pédagogiques. Il y a ensuite les lecteurs de la bibliothèque et les chrétiens qui ont fréquenté cette maison et qui par là nous connaissent ; ils viennent chez nous à l’occasion de la célébration d’un baptême, d’un mariage, des fêtes de la foi ou de Noël. Mais ces deux types de clientèle ne peuvent plus faire vivre à eux seuls aujourd’hui la librairie car la catéchèse et la pratique religieuse traditionnelle diminuent. Par contre, ce qui augmente fortement ce sont les personnes en quête de sens et de spiritualité ou qui portent un intérêt pour ces questions de façon occasionnelle. Par exemple « Que puis-je offrir de meilleur à mon enfant ? », « Et notre vie de couple ? » ou « Comment accompagner un proche qui souffre ? » ... Nous devons être sur le chemin de ces personnes pour qu’elles nous trouvent facilement tout en faisant leurs courses en ville ... ou encore mieux : par hasard !!! Je suis convaincue que beaucoup de nos ouvrages leur offriraient des repères, alimenteraient leur réflexion, leur ouvriraient des chemins surtout si cela se passe dans un lieu accueillant, agréable et animé par des personnes compétentes !

F.V. : Et le profil du lecteur liégeois ?

B.H. : Nos liégeois en particulier cherchent avant tout à s‘interroger, s’informer, polémiquer presque… Ainsi, une rubrique qui trouve beaucoup d’échos est Foi en question qui aborde les questions de la Foi mais vues sous forme d’interrogations. On sent que le liégeois est un peu rebelle, cela reste la Cité ardente et cela me réjouit. Il cherche la confrontation des opinions, il cherche l’intelligence de la Foi.

F.V. : On perçoit que la section jeunesse est en pleine restructuration. Elle reste encore traditionnelle par certains aspects mais on ressent également le changement ?

B.H. : Oui et, en tout cas, elle est en plein essor et ce grâce à l’engagement partiel d’une jeune libraire formée, Constance Michallek, qui la bichonne et développe des rubriques très intéressantes comme le rayon philo pour enfants et ados où l’on trouve beaucoup de parutions originales qui évoquent des questionnements fondamentaux. Constance est à l’affût de parutions différentes. Au niveau BD, par exemple, elle a introduit des ouvrages d’une très grande qualité mais que l’on n’aurait pas trouvés auparavant ici : sans aucun prosélytisme mais ouverts sur la création et la recherche de sens de la vie. De plus, elle organise des animations pour les jeunes, accueille des classes, invite des auteurs : c’est un énorme travail !

G.D. : En conclusion, c’est donc l’impression de vent en poupe qui domine…

B.H. : C’est vrai, notre clientèle suit et est heureuse de cette évolution. Mais, attention à l’arbre qui cache la forêt ! La crise économique est là, la librairie est un métier en crise et le secteur religieux l’est d’autant plus ! Même si nos chiffres ne sont plus aussi mauvais, il faut être réaliste. Je reste convaincue que, sans une meilleure visibilité de notre librairie, tous nos efforts risquent, même à moyen terme, de s’étioler… La situation est loin d’être rose, le combat est donc loin d’être terminé.

Propos recueillis par Gérard Durieux et Françoise Vanesse, octobre 2011

Les coups de cœur artistiques de Brigitte Hardy…

° Un film ?
Incendies, film québécois réalisé par Denis Villeneuve en 2010.
« Le drame de la guerre et de la violence qui déstructurent des existences entières ; et pourtant la vie est plus forte ! »

° Une peinture ?
Broadway Boogie-Woogie de Piet Mondrian (1943).
« Cette oeuvre new yorkaise est à mes yeux l’aboutissement joyeux d’un long travail de synthèse plastique, expression de la quête spirituelle continuelle de l’artiste ».

° Une musique ?
La Passion selon Saint-Matthieu de J-S Bach (1727)
« Nous suivons l’Innocent aux prises avec les forces des ténèbres ; lui avance dans la paix tandis que l’univers attend, reçoit et exulte... ! »

° Un roman ou essai ?
Derniers fragments d’un long voyage de Christiane Singer
« L’auteur nous offre de l’accompagner jusqu’aux moments ultimes de sa vie et de nous révéler alors que « Quand il n’y a plus rien, mais vraiment plus rien..., il y a l’amour ».

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Les rencontres coups de cœur de Brigitte Hardy et Constance Michallek

« En septembre dernier, la rencontre avec Véronique Margron, théologienne et moraliste, autour de son livre Fragiles existences me laisse un souvenir lumineux. Nous avons rencontré ce soir là une femme libre, l’esprit toujours en éveil qui n’a pas peur de réfléchir le réel tel qu’il est et non tel que nous voudrions qu’il soit... et cela à la lumière du Christ et de la tradition de l’Eglise catholique. Ce que j’avais tant apprécié dans son livre, je l’ai vu "en acte" par sa façon d’accueillir les questions des personnes présentes à la librairie et de réfléchir humblement avec et devant nous... sans tabou aucun... Très beau témoignage de confiance et de paix ».
Brigitte Hardy

« Difficile de choisir une rencontre en particulier ! J’ai finalement opté pour Bernard Tirtiaux, grand auteur belge qui est venu, au printemps dernier, présenter à la librairie ses deux derniers livres, un roman et un recueil de poèmes. Prélude de cristal est un roman mettant en scène une jeune harpiste qui, fin du XIXème siècle, quitte son milieu et une vie toute tracée, pour l’amour d’un artisan verrier marié et emprisonné. L’histoire rocambolesque de cette femme libre et courageuse racontée par la plume de Bernard Tirtiaux est un délice. L’auteur est un célèbre maître verrier et, lorsqu’il travaille le verre, un roman murit quelquefois dans son esprit. Enfin, lorsqu’il est prêt, il cesse tout travail d’artisan pour écrire le livre. Lors de cette rencontre, Bernard Tirtiaux a ravi ses lecteurs venus en nombre, montrant à quel point il est un artisan des mots et de l’imaginaire sous toutes ses formes. C’était la première rencontre de la librairie autour d’un roman, elle m’a laissé un souvenir empreint de poésie et de voyage ».
Constance Michallek

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