Rencontre avec Marie Colot, autrice jeunesse

Publié le 28 septembre 2023, par Françoise Vanesse, Sylvie Hendrickx


Littérature intimiste et ouverture sur le monde

C’est suite à sa conférence sur le roman miroir pour adolescents à l’occasion de la dernière Foire du Livre de Bruxelles, que nous rencontrons Marie Colot. En ce mois de rentrée scolaire, l’autrice, auparavant enseignante, nous invite à partager son rapport à la littérature jeunesse ainsi que ses différents projets visant le rapprochement des ados avec la lecture via notamment ses contacts avec ses jeunes lecteurs : indispensable terreau pour l’inspiration de ses romans intimistes, aux thématiques souvent graves mais toujours sources d’un regard émancipateur et d’une ouverture sur le monde.

S.H. Cette période de rentrée scolaire nous rappelle l’importance que vous accordez aux liens avec le monde de l’enseignement via la rencontre de nombreux professeurs mais surtout de vos jeunes lecteurs que ce soit en Belgique, mais également en France.

M.C. Ces contacts sont en effet particulièrement nourrissants pour ma démarche d’autrice. Non seulement, ils m’éclairent sur la manière dont mes romans sont perçus et sur les émotions ou réflexions qu’ils peuvent faire naître chez mon lectorat. De plus, ces rencontres, qui se déroulent le plus souvent en milieu scolaire et donc avec un public « captif », sont l’occasion de discussions très riches avec les adolescents sur leur rapport à la lecture, leurs motivations à lire ou pas, leurs choix et, notamment, l’attirance de certains pour les mangas au détriment des romans… Tous ces échanges me permettent aussi de rester en phase avec leurs réalités : ce qui constitue incontestablement une bonne partie du terreau de mon champ d’écriture !

F.V. Dans ce cadre, vous rencontrez des enseignants particulièrement investis dans la sensibilisation des jeunes au plaisir de lire.

M.C. Oui, cet enjeu me tient particulièrement à cœur, d’autant plus que j’ai moi-même eu la chance de grandir dans un environnement où les livres avaient toute leur place. Aujourd’hui, je peux affirmer que cela a été particulièrement déterminant pour la personne que je suis. Je crois en effet profondément au pouvoir des histoires qui ouvrent notre regard sur le monde et développent notre empathie. Cette sensibilisation au plaisir de lire est donc à mes yeux une mission essentielle. Et je suis heureuse d’y contribuer, même si je porte un regard lucide sur ces rencontres en classe qui permettent, de façon ponctuelle, et parfois très éphémère, de susciter de l’intérêt pour une lecture…

S.H. A l’occasion de la journée mondiale du livre, le 23 avril dernier, vous avez également soutenu la cinquième édition de l’opération « Tout le monde lit » en écrivant le texte d’accroche de son concours d’écriture. Quel regard portez-vous sur cette action ?

M.C. Je constate, de manière très encourageante, que le quart d’heure de lecture quotidien initié par cette opération est de plus en plus suivi. J’y vois deux avantages primordiaux. Premièrement, celui-ci permet d’installer des habitudes de lecture plaisir en invitant les jeunes à lire sans pression ni hiérarchisation de genre. De plus, il permet de souligner, dans une société qui ne le valorise plus suffisamment, l’importance de s’accorder un temps d’arrêt avec soi-même. Ce que la lecture permet assurément !

F.V. Vous avez été enseignante. Cette expérience a-t-elle nourri votre démarche d’autrice ?

M.C. J’en suis convaincue et ce, bien que je n’ai pas enseigné à des adolescents mais à un public de jeunes adultes constitué de futurs éducateurs spécialisés. En les accompagnant à travers leurs stages, j’ai été en contact avec différents lieux et publics, souvent marginalisés, qui m’ont sans conteste orientée vers des thématiques sociales, ancrées dans le réel.

S.H. La plupart de vos récits relèvent ainsi du roman miroir. Quelles sont, pour vous, les principales caractéristiques de ce genre littéraire ?

M.C. En littérature jeunesse, le roman miroir s’écrit à la première personne et livre le point de vue d’un narrateur qui vit un moment clé de l’adolescence. Par un processus d’identification et l’évocation de thématiques fortes ancrées dans le réel, ce type de récit peut accompagner le lecteur dans un moment charnière de sa construction personnelle. Cependant, cette appellation « miroir » m’apparait réductrice. Il ne s’agit pas simplement, comme on a pu parfois en faire la critique, d’une complaisance à se retrouver dans une histoire. Au contraire, cette littérature intimiste présente une dimension plurielle qui intègre les relations aux autres et l’ouverture au monde. C’est la raison pour laquelle, on pourrait plutôt parler de « roman boule à facettes ».

F.V. Certaines collections de romans se sont spécialisées dans cet ancrage réaliste. Elles démontrent que les jeunes adolescents sont intéressés par d’autres thématiques que celles liées à l’imaginaire ou à l’évasion.

M.C. En effet, le roman miroir a déjà une longue histoire dans la littérature jeunesse et a continué de se développer parallèlement à l’émergence, il y a une vingtaine d’années seulement, de toute la littérature adolescente de l’imaginaire liée notamment au phénomène d’Harry Potter. Bien que cette dernière capte aujourd’hui une grande partie du lectorat, la littérature pour adolescents se définit avant tout comme une littérature de l’intensité et celle-ci peut s’exprimer sous différentes formes ou genres. Ainsi, certains éditeurs continuent de développer d’importantes collections de romans miroirs, c’est le cas notamment des éditions Thierry Magnier avec leur collection l’Ardeur.

S.H. Quels sont les genres littéraires, collections ou auteurs qui vous ont nourrie en tant que jeune lectrice ?

M.C. Enfant, j’étais déjà une lectrice d’aventures assez réalistes, avec notamment les romans de Marie-Aude Murail qui m’inspire par sa grande sensibilité. La collection Travelling a également été pour moi dans les années 90 un véritable choc. Certains de ses romans, dont Le cri du hibou de l’autrice belge France Bastia, me laissent des souvenirs de lecture qui m’habitent encore aujourd’hui. Enfin, du côté de la littérature d’imaginaire, j’ai été profondément marquée par Matilda de Roald Dahl que j’ai relu à de nombreuses reprises et relirai encore.

F.V. Vous affirmez par ailleurs que l’écriture est indispensable à votre équilibre personnel…

M.C. Le monde dans lequel nous évoluons est très violent. L’écriture me permet de métaboliser et de supporter ce choc du réel. Ainsi, mes romans sont toujours liés à des instants où la réalité est venue me bousculer de manière assez profonde pour enclencher une mise à l’écriture. Ecrire m’est indispensable pour apprivoiser le monde, tenter de le comprendre et de gérer toutes les contradictions qui l’habitent. Je développe mes projets par nécessité et jamais sur commande.

S.H. C’est pourquoi, les sujets que vous abordez sont souvent assez violents : suicide, abandon, harcèlement… Comment faites-vous pour vous situer de façon sereine au cœur de ces thématiques parfois très difficiles à évoquer ?

M.C. Je pense que j’y parviens car j’écris à la première personne, dans la peau d’un personnage qui est très vivant dans mon esprit. C’est ma connaissance de plus en plus fine de ce personnage qui me permet de sentir cette justesse par rapport à ce qu’il vit. Il m’importe également de respecter la sensibilité du lecteur, de préserver l’espoir, de poursuivre une ambition stylistique plutôt que de proposer un message. Pour cela, le choix des mots est essentiel et apporte de la nuance.

S.H. C’est-à-dire…

M.C. Il est, par exemple, toujours essentiel à mes yeux de montrer les nombreuses facettes des problématiques que j’aborde en multipliant les points de vue et les manières de réagir des différents personnages. Mon but est en effet de ne jamais me situer dans un discours omniscient ou moralisateur. Dans les bons romans, chaque personnage doit, selon moi, avoir sa version de la vérité de telle sorte qu’il n’y en existe plus d’absolue et que le lecteur puisse se faire sa propre opinion.

S.H. Cette absence de jugement, tout comme votre prédilection pour les fins ouvertes, participe de votre souci de respecter le lecteur ?

M.C. Il est en effet fondamental pour moi de lui laisser une place, une possibilité d’aller chercher lui-même dans le texte ce qui résonne, l’interpelle ou l’émeut. L’expérience de lecture est avant tout une expérience de liberté. C’est important de permettre aux jeunes de le découvrir. Souvent, ils n’en ont pas conscience, notamment parce que la lecture leur est imposée par l’école.

F.V. Vos personnages sont souvent eux-mêmes des figures de liberté…

M.C. Rétrospectivement, je me rends compte que ce sont en tout cas des personnages qui sont en recherche de liberté, dans un processus d’émancipation et qui se demandent comment composer avec leur vécu et leurs rêves d’avenir.

S.H. Tout comme les classes, les bibliothèques sont-elles également des lieux de rencontres ou d’animation que vous affectionnez ?

M.C. Mes rencontres se vivent principalement en milieu scolaire, grâce notamment à « Auteurs en classe », un dispositif de la FWB qui permet aux enseignants d’accueillir gratuitement une autrice ou un auteur belge dans leur classe.(1) Je me rends également volontiers en bibliothèque dans le cadre de rencontres tout public mais cela s’avère plus rare et dépend des coups de cœur des bibliothécaires. Dernièrement, j’étais à la bibliothèque de La Bruyère, dans le namurois, qui a organisé un concours de nouvelles destiné aux 10-13 ans pour lequel j’ai eu le plaisir d’écrire un petit texte d’accroche.

F.V. Et quels regards portez-vous sur l’évolution des bibliothèques publiques ?

M.C. De manière générale, je suis très sensible à la dimension essentielle des nouvelles missions socioculturelles des bibliothèques. A titre personnel, lorsque je m’y rends en famille, c’est principalement pour y découvrir d’autres livres et auteurs que ceux que j’affectionne déjà et que j’achète en librairie. Le travail de sélection qui s’exprime notamment à travers les tables thématiques et les coups de cœur des bibliothécaires participent de ces dimensions de médiation et de découverte qui me réjouissent particulièrement !

mariecolot.com

(1) Voir la plateforme Objectif Plumes : Auteurs en classe | Objectif plumes

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Les coups de cœur artistiques de Marie Colot