Rencontre avec Sarah Verriest,responsable des animations et de l’Éducation Permanente à l’association « Justice et Paix »

Publié le 15 janvier, par Françoise Vanesse


Comprendre et agir

En cette période minée par de nombreux conflits sur le plan international, nous donnons la parole à Sarah Verriest, responsable des animations et de l’Education Permanente à l’Association « Justice et Paix ». Animée d’un remarquable esprit d’ouverture à l’autre, cette politologue et sociologue, nous expose les différentes démarches entreprises par « Justice et Paix » pour sensibiliser leurs différents publics à l’importance de développer un esprit critique face à une situation conflictuelle. Et ainsi de faire obstacle à l’émergence de discours binaires, stigmatisants et inévitablement sources de conflits potentiels, même dans les moindres interstices de la vie sociale.

F.V. Nous vivons actuellement des moments éprouvants au niveau des conflits et ce flot d’informations partielles et subjectives qui circulent à leurs sujets. En tant que responsable Éducation Permanente et animation à l’association « Justice et Paix », comment envisagez-vous le rôle de votre organisation au sein de ce climat névralgique ?

S.V. En fait, à « Justice et Paix », notre credo s’appuie sur la conviction qu’il est primordial d’essayer de se construire un avis le plus objectif possible afin d’être en paix, que ce soit avec soi-même ou avec les autres. Actuellement en effet, on est souvent perdu dans une masse d’informations, on assiste à l’émergence de discours binaires, parfois « complotistes », partisans et, à la fin, complètement stériles. Dans ce climat contre-productif, chacun reste sur ses positions, on tient pour l’un ou l’autre et cette attitude ne favorise certainement pas l’émergence d’un climat de paix, même à une petite échelle. Il faut donc se prémunir de l’envie d’avoir raison à tout prix mais plutôt d’entendre les arguments de ses partenaires dans une discussion constructive. Cette attitude s’apprend et se construit. L’important est d’y être sensibilisé !

F.V. Et votre association manifestement travaille à cette sensibilisation…

S.V. Oui, c’est une de nos missions essentielles en tant qu’association d’Éducation Permanente : permettre aux adultes, simples citoyens, personnel enseignant ou tout professionnel en lien avec un public comme les bibliothécaires, de développer leur esprit critique face à une situation conflictuelle et de se construire un avis le plus objectif possible. Ce qui n’est pas toujours si évident quoi qu’il y paraisse…

F.V. Quelle est votre méthodologie ?

S.V. En fait, dès que nous sommes en travail avec notre public, nous activons notre slogan qui consiste à « Voir, juger, agir ». Le « voir » consiste à essayer de bien cerner le contexte dans lequel s’ancre un conflit, son enjeu ainsi que les différents acteurs en présence. Ensuite viendra le « juger » et là, on encourage les personnes à se forger un avis critique, à vérifier les sources comme se rendre en bibliothèque et essayer de déconstruire un sujet. Une fois ces deux caps franchis, on est mieux équipé pour « agir » : maintenant que l’on a les cartes en main, qu’est-ce que l’on peut faire, en tant que simple citoyen, pour faire bouger les choses en faveur de davantage de paix ?

F.V. Pour ce faire, vous organisez des conférences, des tables rondes, des ciné-débats, mais également des formations à destination, par exemple du personnel enseignant ou des bibliothécaires…

S.V. L’organisation de ces formations s’ancre de façon très adéquate dans nos missions car elles nous permettent de mettre en action notre levier du « Comprendre pour mieux agir ». Les bibliothécaires, au vu de leurs contacts avec différents publics dont des jeunes, sont des médiateurs de première ligne et des relais importants dans la sensibilisation critique aux enjeux de certaines situations et au discours nuancé et critique qu’il convient d’avoir. Ainsi, un bibliothécaire participant me confiait, lors d’une dernière formation, se réjouir d’avoir été éveillé à l’importance d’avoir une vision plus neutre et moins passionnelle sur le conflit au Kosovo, ce qui n’était pas son cas avant sa participation à la journée.

F.V. Parallèlement, vous menez un travail avec des groupes de volontaires. En quoi consiste-t-il ?

S.V. Notre travail avec ces groupes de volontaires est capital à nos yeux. Et nous y consacrons beaucoup d’énergie car il nous permet de sensibiliser de simples citoyens à certaines thématiques qui nous sont chères comme les conflits ou les enjeux de démocratie. D’autre part, ces groupes leur permettent de s’impliquer et de se mettre en action. Chaque personne peut, en effet à sa propre échelle, faire bouger les choses ! Différents groupes de volontaires sont présents sur le territoire de Bruxelles et, parallèlement, on a des commissions régionales : une à Wavre, à Liège et à Namur.

F.V. Concrètement, comment ces groupes fonctionnent- t-ils ?

S.V. Ces volontaires se réunissent à des périodes variables avec pour objectif de traiter un thème en rapport avec un conflit, de l’interroger à la lumière du « Voir, juger, agir » afin de déboucher sur la rédaction d’articles à inclure dans notre revue trimestrielle « Pour Parler de Paix ». Concrètement, soit on part d’un thème que l’on a pressenti important lors d’une précédente réunion, soit je propose un thème étant donné que j’en anime certaines. « Qu’est-ce qui vous préoccupe actuellement dans l’actualité ? » Bien souvent, plusieurs sujets émergent bien évidemment et mon rôle est de créer une trame parmi ces thèmes ou de mettre au frigo certains.

F.V. Cette revue est donc réalisée presqu’entièrement par des volontaires ?

S.V. Oui, tout à fait car il y a des personnes qui viennent très régulièrement et qui s’impliquent dans la rédaction d’articles ou qui en connaissent d’autres, prêtes à collaborer à notre projet participatif et citoyen. Parfois, nous rédigeons l’édito ou l’un ou l’autre article. C’est également un travail d’accompagnement qui fait partie de nos missions : que chacun puisse trouver sa place et, parfois, il arrive que deux personnes planchent ensemble sur un même article. La prochaine revue qui paraîtra sera consacrée, très légitimement et suite à la demande générale, au conflit israélo-palestinien. Avec certains articles dont : « Conflit Israël-Hamas : La nécessité de favoriser un débat impartial sur le Droit International Humanitaire ».

F.V. Aller à la rencontre des gens et les impliquer dans un processus de création de contenu critique est donc une de vos missions essentielles. Votre projet de « Café littéraire » trouve-t-il sa place au sein de cette même démarche ? Quels sont ses objectifs ?

F.V. Oui, ce projet s’inclut précisément dans cette même perspective. Il est véritablement enthousiasmant et parlera certainement à vos lecteurs, convaincus pour la plupart des multiples ressources que peut offrir la littérature… De façon très concrète, chaque année, une thématique est définie et le groupe du « Café littéraire » est invité, au départ de différents romans sélectionnés par l’animatrice, à réfléchir et à s’interroger à son sujet. L’année dernière, nous avons travaillé autour du thème du milieu carcéral. L’entrée par la fiction permet d’aborder des thèmes complexes (prison, violence conjugale, etc.) et offre davantage de recul.

F.V. Comment cette animation fonctionne-telle ?

S.V. Les groupes de personnes lisent le livre chez elles et puis il y a deux réunions. La première consiste en un échange sur une analyse critique de la façon dont l’auteur présente l’histoire, le style, les traits des caractères principaux, le processus narratif. Cela reste très superficiel par rapport à la thématique abordée et cela consiste plus en un survol : « je trouve ce personnage attachant, je me suis identifié à lui… ». Ensuite, en seconde réunion, le rôle de l’animateur est d’interroger et d’aller plus loin, d’évoquer alors la thématique de façon plus approfondie et d’éventuellement mettre à jour des processus sous-jacents ou clairement identifiés par les lecteurs (dans le cas de la thématique sur la prison, des notions comme : rédemption, enfermement) pour ensuite susciter le dialogue. Ce sont toujours de très riches échanges, porteurs de contenus et de dialogues éclairants entre les participants. Et qui débouchent sur des visions bien plus apaisées.

F.V. Qui anime ces groupes ?

S.V. C’est une personne bénévole qui anime ce groupe. Actuellement, nous devons précisément reconstituer notre réservoir de volontaires et souhaitons faire un appel pour relancer cette enrichissante dynamique à partir de ce mois de janvier 2024. Aussi, si dans vos lecteurs, se trouvent des personnes qui aiment la lecture et qui sentent avoir les ressources pour animer ce groupe, ils peuvent me contacter. C’est avec plaisir que je les rencontrerai…

F.V. Toujours dans cette dynamique de création de contenu critique, vous venez, en tant que responsable du pôle Éducation Permanente, de rédiger une publication intitulée : Le défi de la paix pour l’Union Européenne.

S.V. Oui, en effet et cette publication va sortir fin décembre. Elle fait suite à l’organisation d’un cycle de conférences organisées l’année dernière avec d’autres associations partenaires (le centre Avec, le GRIP, Amnesty International, Etopia) qui ont relayé des préoccupations suite au conflit ukrainien et les différents enjeux qui y sont liés. Cette publication aborde donc différents points comme, par exemple : Est-ce que l’Union Européenne a un projet de paix ? Qu’en est-il sur le commerce et les exportations d’armes en Europe ? Quid de la militarisation, quels budgets ? Elle est rédigée afin de déconstruire des discours binaires et de fournir des données objectives et sera prochainement disponible sur notre site. Prochainement, nous y joindrons une capsule vidéo qui portera sur la culture de la paix.

F.V. À la fin de cette publication, vous consacrez un chapitre à la culture de la paix qui encourage notamment l’ouverture à l’autre et la solidarité entre les peuples. Des discours que certains détracteurs pourraient qualifier d’utopistes à l’heure actuelle où le découragement mine beaucoup d’entre nous au vu de la situation internationale ?

S.V. Ce chapitre a justement été rédigé suite à de nombreuses questions que nous recevions lors de formations ou de conférences au sujet de la partie « agir » de notre slogan. Comment agir en faveur de la paix ? Comment être pacifiste à l’heure actuelle ? Chez « Justice et Paix », nous pensons que cela passe par la promotion, notamment via l’enseignement et l’Éducation Permanente, d’une culture de paix engagée et citoyenne. Le fait de se renseigner, de ne pas propager de discours binaires ou simplistes, d’être dans une ouverture à l’autre, de préserver des espaces de démocratie dans notre pays sont déjà des pistes d’initiatives qui peuvent être très concrètes et planter des graines pour cultiver la paix dans les esprits. Ce chapitre s’attache à donner des pistes à ce sujet. Je crois fondamentalement en le fait que la paix commence déjà dans les esprits individuels, par une attitude d’ouverture à l’autre et qu’un vrai changement peut se produire par ce biais. Être pacifiste à l’heure actuelle ce serait aussi tout simplement de plaider pour ce qui est juste, pour tous les peuples, en tentant de faire au mieux. Soyons des artisans de paix et créons des ponts pour l’avenir…

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Commission Justice & Paix
208, Chaussée Saint-Pierre, 1040 Etterbeek (Belgique)
Tél : +32 (0)2 896 95 00

Le « Pour Parler de Paix », c’est la revue trimestrielle de la Commission « Justice et Paix » qui est disponible en version PDF gratuite le site internet de l’association.

Vous souhaitez ajouter cette revue aux périodiques de votre bibliothèque ? Vous pouvez également souscrire à un abonnement gratuit, ou à un abonnement de soutien à notre revue pour 15€ par an. Via le site internet www.justicepaix.be.

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Les Coups de cœur artistiques de Sarah Verriest