Cueillette en silence

Publié le 23 janvier 2012, par Françoise Vanesse


Au cœur de la longue nuit de l’hiver, quelques variations qui nous rappellent à l’importance d’apprivoiser le silence…

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Amandine MAREMBERT, Un petit garçon un peu silencieux, éd. Al Manar, 2010

Dans ce texte très poétique et étonnant, Amandine Marembert nous entraîne avec délicatesse, simplicité et fraîcheur à apprivoiser les errances de son petit garçon muré dans le silence. Comme en résonance avec la thématique qu’elle aborde, son langage est tout en finesse et en décalage. Peu à peu, avec elle, nous pénétrons sur la pointe des pieds au cœur de cette étroite relation qui se tisse lentement, pleine d’un amour dont la pudeur suggère au plus près l’immensité et l’intensité.

Cet étrange petit garçon « muet comme une carpe », comme le suggère avec autant de finesse l’illustration de Diane de Bournazel, incite à se tenir à l’écoute : percevoir ce que signifie un geste, un regard, un fou-rire sous la couette ou un murmure et profiter d’un vent favorable pour tenter la naissance d’une belle complicité.

Ce magnifique petit livre poétique est rempli de scènes qui évoquent la tendresse née du contact physique. « Il a des sourires très blancs… cherche le contact des peaux… frotte sa tête contre la mienne…fait un feu de nos cheveux qui s’emmêlent en tas d’herbes séchées… » Quant aux scènes, à l’extérieur, elles s’attachent à exprimer la fragilité, la patience, l’acceptation et le partage des moments rares et secrets de ces deux êtres en quête d’un autre langage. « Il est souvent une énigme posée aux quatre /coins du jour/La percer serait le blesser d’une lumière trop crue… »

Merci Amandine de nous apprendre l’apprivoisement du silence avec autant de justesse. Votre poésie, que vous glissez si subtilement au creux des mots et des maux, nous touche par ses émotions vraies, à fleur de peau…

V.D.

Gilles Vigneault et (musique de) Denis Gougeon, Le piano muet, éd.Fides, (2003) (CD inclus)

Le piano muet est un très tendre et printanier conte musical, alliant de façon étonnante la poésie traditionnelle québécoise de Gilles Vigneault, chantre des grands espaces et la création musicale contemporaine du compositeur Denis Gougeon.

L’histoire, comme un conte de Noël, est celle de Lucas, un petit garçon de huit ans, rêveur et aventurier, jouant de la flute picolo comme ses amis les tourterelles, geais ou chardonnerets. Vivant seul depuis qu’il est petit avec sa mère, son problème d’isolement s’est focalisé sur un vieux piano « muet ». Et pour cause, celui-ci est fermé à clef, verrouillé, autant dire « mort ». Cependant, pour Lucas, le piano silencieux n’est pas un meuble comme les autres. Il a cet air plein de secrets qu’ont tous les instruments de musique. Et surtout, Lucas est très intrigué par une photo de son grand-père, posée au-dessus du piano, qui jouait de son vivant plusieurs instruments dont l’accordéon. Mais Lucas a beau poser des questions à sa mère sur le silence du piano et sur son grand-père, celle-ci reste résolument muette. Aussi, la meilleure amie de Lucas, Emma, lui propose, grâce à la fameuse photo, d’aller voir son grand-père en rêve. Et à son grand étonnement, son rêve le conduit et nous conduit avec lui vers une petite maison dans les bois…
Si vous êtes de ceux qui aiment Pierre et le loup, l’atmosphère unique dégagée par la douceur de la poésie et de la musique vous enchantera très certainement cet hiver au coin du feu. C’est en tous cas ce que je peux vous souhaiter de mieux pour briser le silence de la longue nuit de l’hiver.

V.D.

Joanna CONCEJO, monsieur personne, Editions du Rouergue, 2010

Pousser les portes de l’univers de monsieur personne, c’est pénétrer au cœur de la grisaille, de la répétition, de la vie, vide de sens, de bruit et de présence. monsieur personne vit en effet dans un décor dans lequel la couleur semble avoir perdu tout éclat, dans lequel l’habitude et la monotonie règnent en maître. Dans la maison de monsieur personne la solitude et la mélancolie sont les principales invitées. Ici, le silence a élu domicile.

Mais, ne nous fions pas aux apparences ! Et si monsieur personne était vraiment un être vivant, voire un être d’exception ? Ainsi, peu à peu, après nous avoir immergés dans cette ambiance d’apparence austère, habitée par un personnage délavé, silhouette absente à l’image d’un pantin désarticulé et muet ; l’auteure, tout en nuance, nous prend par la main pour nous faire rencontrer un monsieur personne animé par la vie et la communication. Mais pas n’importe laquelle ! En effet, au cœur de ce décor fade et terne, fleurissent la fantaisie et la poésie. Ce sont elles qui rendent monsieur personne vraiment présent.

Cet album superbement illustré grâce au talent de Joanna Concejo est audacieux à différents égards. Premièrement car il aborde la thématique de l’absence, de la vieillesse, de l’isolement ou de la perte d’identité d’une façon originale et inattendue. Deuxièmement car les illustrations nous entrainent dans un univers pictural et graphique extrêmement poétique mais aussi car il permet différentes lectures. Celle qui nous parle évoque le silence, sauvé et rompu, grâce au dialogue avec la poésie… F.V.

Virginie MICUCCI, Le silence de la lune, QuiQuandQuoi Editions, 2009

C’est l’histoire très farfelue d’une poule. Mais pas n’importe laquelle ! En fait, la plus grande cantatrice de toute la terre et… de l’univers ! Et, que fait-on, quand on a l’honneur d’être une poule de cette espèce ? On chante, me direz-vous ! Bien sûr, mais encore ? On pond des œufs ! Bien vu ! Mais pas n’importe lesquels !!! Des œufs carrés, figurez-vous ! Ah Bon ? Et oui, des œufs carrés… Et, que nous vaut l’honneur de cette ponte à la forme inédite ? C’est que madame La Poule est très en colère car la lune n’écoute pas la grande chanteuse. Or, comme la poule sait que la lune adore le rond, elle pond des œufs carrés, tout simplement, pour se faire remarquer, pour agacer, égratigner, bref attirer l’attention : il fallait y penser !!! Finalement, la célèbre cantatrice apprendra que, si la lune ne l’écoute pas, c’est tout simplement car elle ne possède pas d’oreilles ! Moralité : si vous posez une question à quelqu’un, assurez-vous qu’il vous a bien entendu ! Si non, débutera pour vous une longue période de frustration…
Si ce petit délire illustré possède tous les ingrédients de la légèreté, il aborde néanmoins un sujet bien plus grave : celui de la difficulté de bien communiquer et de se comprendre. En quelque sorte, une petite fable bien actuelle afin d’éviter de se retrancher et de donner naissance à de trop longs silences…

F.V.