Cueillette... en poésie

Lumières

Publié le 10 février 2011, par Françoise Vanesse


En correspondance avec ces temps de Noël, voici quatre propositions de lectures qui rayonnent de paroles ou de créations de lumière.

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Henri GUERIN, De lumière et d’ombre, éd. Revue de la céramique et du verre,2009

"Sans la lumière du ciel, les vitraux restent sans vie, ils demeurent inertes. Ils doivent un jour quitter l’atelier comme on doit quitter sa mère afin d’aller vivre leur vie d’ombres et de lumière. Renaître au matin pour mourir au soir, en égrainant, chaque saison, le temps qui passe."

Remontant aux sources de l’enfance avec le souffle de l’humilité et de la patience, Henri Guérin, poète, peintre et maître verrier, nous invite au seuil de ses quatre-vingt ans comme un « hôte » discret et accueillant dans les secrets de son œuvre pour bâtir la lumière.

Tout comme son écriture immédiatement reconnaissable, faite de silences, de rythmes et de vibrations, de jeux d’ombres et de lumière, il nous emmène : tantôt dans son atelier à travers ses vitraux rendant compte des moments de labeur, de pesanteur mais aussi d’élévation. Tantôt en promenades méditatives, poétiques et contemplatives à travers les arbres et la nature qu’il aime tant tel un maître patient. « A travers elle, par le langage des formes, l’artiste apprend à regarder, à interpréter l’élan vers la vie. Il sonde la matière, il écoute et voit peu à peu se révéler quelques bribes du mystère des choses. Car rien ne peut se dévoiler en lui sans la patience d’un regard, apprenti de la contemplation. »

C’est avec délice et respect des profondeurs que nous partageons son propre chemin vers la Beauté. Une école de vie dans laquelle il nous conduit avec beaucoup de délicatesse telle une cantate de Bach. Et ce, jusqu’à la joie si rare et si inattendue qui surgit d’un accord, d’un son juste difficilement partageable et échappant à son auteur. Ce quelque chose pourrait s’appeler l’inspiration. Et comme l’humilité, on ne peut pas le faire exprès, c’est donné.
Une magnifique lumière fragile qui nous est donc donnée d’accueillir pour ce Noël 2010.

V.D.

C. NYS-MAZURE, C. LIBENS, piqués des vers ! 300 coups de cœur poétiques, espace nord, 2010

Beaucoup de gens considèrent la poésie comme quelque chose qui ne les concerne pas et ont parfois une image très élitiste de cette forme onirique de la littérature.
C’est notamment dans le but de gommer cette part d’ombre qui colle encore à la peau de la poésie et de la rendre plus familière que le Comité éditorial d’Espace Nord, sous la direction de Colette Nys-Mazure et Christian Libens, a donné le jour, à l’occasion du 300ème titre de la collection, à ce recueil qui nous invite à prendre connaissance de 300 coups de cœur choisis dans l’univers de la poésie belge francophone.
Cet ouvrage poursuit différents objectifs dont, sans doute le plus important, est d’offrir un regard tamisé mais néanmoins éclairant de la production poétique francophone.

Mais ici pas de grand projecteur pour certains et de simples bougies pour d’autres ! Mais bien un seul regard d’amour focalisé sur l’ensemble d’une production dont ont été extraits ces coups de cœur. De cet éclairage particulier et subjectif émergent donc 300 noms. Leur dénominateur commun n’est certes pas la notoriété, l’âge ou la reconnaissance, mais bien l’authenticité et la limpidité de leurs écrits. « Une poésie qui parle d’emblée... Nous souhaitons mettre l’eau à la bouche, pratiquer la poésie en tous sens et à tous vents », écrit Colette Nys-Mazure dans sa Préface. Ce chemin tracé nous donne donc à réentendre des voix connues mais aussi à faire, avec bonheur, de nouvelles découvertes. L’ordre de présentation correspond aux dates de naissance.

En ces temps où les nuages de l’austérité et de la rigueur planent à tous vents, il est plus que jamais nécessaire de raviver les immenses ressources que peut apporter la poésie au jour le jour. « La poésie communique au quotidien une qualité particulière, une lumière et une chaleur, un émerveillement ponctuel ou continu, comparable à l’effet du feu sur le bois sec » conclut Colette Nys-Mazure. Emportons donc ce petit recueil partout avec nous, laissons la poésie descendre dans notre quotidien et aérer nos vies, prenons plaisir à questionner nous aussi ce recueil et élisons nos coups de cœur... En connivence avec le beau projet de ces éclaireurs, rendons la poésie contagieuse !

F.V.

Karim Maaloul, L’Histoire du jour et de la nuit, Lo païs d’enfance, éd. du Rocher, 2004

« Peu de gens connaissent la véritable histoire du jour et de la nuit. Une histoire vieille comme le monde, perdue au fil du temps... »
Avec son écriture et ses illustrations aux vibrations poétiques, toutes imprégnées d’une tendre lumière en clair-obscur, Karim nous emmène doucement à remonter le temps des origines. A cette époque, une immense colline divisait la terre en deux, créant d’un côté le jour, de l’autre la nuit. Côté jour, vivait le Baron d’Aubeclair, un coq très fier cultivant la lumière et ne tolérant aucune ombre sur son territoire ; côté nuit, vivait le Duc d’Encrenoir, un mystérieux hibou gardien des ombres, semeur d’obscurité et traqueur de la moindre parcelle lumineuse.

Chacun des deux désirant la colline à lui seul, leurs rencontres au sommet dégénèrent en combat de plus en plus violents au grand dam de tous les animaux habitant la vallée. A chaque dispute, en effet, la colline rétrécit et finit par disparaître effaçant la frontière entre le jour et la nuit. Le jour devenu gris, les fleurs se refermèrent, les grillons se turent, les oiseaux perdirent leurs chemins, et la nuit son mystère... Jusqu’au jour où les habitants excédés osèrent enfin se réunir pour demander au Duc et au Baron de trouver une solution. Et c’est au milieu du vacarme que s’éleva une petite voix dans la pénombre pour proposer une idée si brillante qu’elle obligea les deux rivaux à travailler ensemble. Cette petite étincelle d’intuition transforma la terre des combats en terre pacifiée....

A travers cette fable adressée aux enfants et aux grands, c’est une lecture à plusieurs niveaux qui s’offre à nous. Comme tout bon livre qui traverse le temps et les générations, cette écriture poétique nous interroge sur nos combats intérieurs, l’accueil et l’apprivoisement de nos ombres pour offrir à l’approche de Noël nos propres regards de lumière...

Et comme le dit la sagesse amérindienne : « Lorsque l’on descend très loin à l’intérieur de soi-même, on débouche inévitablement sur l’immensité du monde. Ne regarde plus le monde avec inquiétude. Tes yeux dispensent la lumière du jour. Ils sont le miroir du monde. Regarde le monde danser à l’intérieur de toi. Alors seulement tu pourras entonner ton chant de victoire. »

V.D.

Kim Hyae Hwan, 1,2,3 bouts... lettr’ANGE, 2006

Dès la page de garde, le ton est donné ! De petites bandelettes de tissu colorées, alignées et cousues les unes aux autres inondent notre regard d’une palette de couleurs chatoyantes. Voici en effet un album éclatant qui ne manque pas d’étoffe...
Et en effet, des étoffes en voici, en voilà ! Mais, pas n’importe lesquelles... Car l’auteure, une artiste coréenne, a travaillé pour sa technique d’illustration, au départ de différentes chutes de tissus selon la technique des bojagi : ces petits carrés de tissus coréens assemblés et qui servaient autrefois à emballer, ranger ou porter des objets.

C’est donc un imagier très riche et étonnant que nous découvrons tant il rayonne de multiples entrées.
Premièrement parce qu’il ravive une technique ancestrale et traditionnelle coréenne mais surtout car il invite petits et grands à plonger de manière artistique et sensorielle dans l’univers des chiffres et des nombres.
De prime abord, la structure narrative est simple : de la page 1 à la page 15, notre regard est invité à se promener, à compter, à énumérer. Mais, la petite leçon de calcul acquiert rapidement une dimension plus artistique et ce, grâce à la technique d’illustration et à sa mise en page originale. Ainsi, alors que notre regard s’amuse en page de gauche au jeu du comptage, défilent parallèlement en page de droite des assemblages de morceaux de tissus dont le nombre correspond au chiffre indiqué.

La qualité de la reproduction est telle qu’elle invite au toucher et laisse percevoir une myriade de reliefs, reflets et fibres émanant de ces petites étoffes mises ici en lumière par l’artiste : toile de jute, cotonnade, percale, satin, taffetas... On imagine aisément que ce livre pourrait être un livre unique, réalisé par une maman avec des tissus appartenant à son enfant. Peut-être est-ce le cas ?

Quoi qu’il en soit et, comme tous les albums de qualité, cet imagier s’adresse aux plus petits comme aux adultes. Mais il ravira aussi les créateurs en herbe ou les animateurs en recherche d’idées pour développer des animations. Car, par sa structure extrêmement simple mais si percutante, ce bel album inspirera sans aucun doute toutes celles et ceux qui, à l’instar de l’auteur, s’amusent à poser un regard lumineux et poétique sur les objets et les matières.

F.V.