Echos d’une rencontre avec Anne-Dauphine Julliand : Donner de la Vie aux jours...

Publié le 23 avril 2012, par Sylvie Hendrickx


En mars 2011, le public découvrait avec émotion "Deux petits pas sur le sable mouillé", témoignage poignant autant que surprenant d’Anne-Dauphine Julliand, paru aux éditions des Arènes. Dans ce livre, la jeune femme confie l’histoire de sa petite fille de deux ans, Thaïs, dont la démarche un peu singulière, décelée sur une plage de Bretagne, révélera bientôt une maladie génétique dégénérative incurable. Elle y retrace un combat quotidien mais aussi « une si belle vie d’à peine trois ans trois quarts » que l’enfant partage avec des parents aimants, Anne-Dauphine et Loïc Julliand, son grand-frère Gaspard et, déjà, sa petite sœur à naître. Ce récit, qui ne laisse pas indemne, nous pousse radicalement du côté de la vie. Il se fait, au fil des pages, authentique cri d’amour couché sur le papier avec tendresse et sans jamais l’ombre d’un apitoiement.
Ce 9 février 2012, nous étions nombreux, un peu plus de deux cent cinquante rassemblés dans un auditoire de Louvain-la-Neuve, à nous laisser interpeller par le témoignage de cette jeune mère. Pendant une heure et demie, en dialogue avec le journaliste Vincent Delcorps, Anne-Dauphine Julliand nous a fait partager, rayonnante et sereine, son message de vie.
Une rencontre très touchante dont voici pour vous, en écho, quelques passages choisis.

V comme Vie

Que l’on ne s’y trompe pas ! Le cœur de ce témoignage n’est pas la maladie, mais bien la Vie. Anne-Dauphine Julliand nous y révèle combien l’annonce de la maladie de sa fille a modifié sa perception de l’existence : « Ce jour-là, j’ai commencé à vivre pour la toute première fois … » Une vie dont Thaïs va lui révéler qu’elle ne se réduira jamais aux épreuves qui la parsèment, une vie qu’elle et son mari vont décider, dans un véritable engagement pour leurs enfants, de ne pas se contenter de subir : « On a fait le choix de cette vie-là. » Ce choix et ces deux petits pas vont porter la jeune mère très loin, jusqu’à cette découverte : « On peut être éprouvé dans la vie et pourtant très heureux. Ce ne sont plus deux termes incompatibles pour moi… Si je témoigne aujourd’hui, c’est juste pour vous dire une chose : je suis une femme profondément heureuse. »

C comme Cœur qui bat

Anne-Dauphine Julliand nous livre avec son cœur de maman la découverte d’une forme d’amour jamais connue jusque-là. A travers l’épreuve où Thaïs perd progressivement la vue, ses capacités motrices, l’ouïe et la parole, mère et fille vont tisser d’autres liens de communication pour dire la présence et l’amour : « Thaïs m’a appris que l’amour s’exprime par tous les sens. “Je t’aime”, c’est bien de le dire, mais cela peut s’exprimer par tant d’autres moyens, une respiration, une densité de peau, un battement de cil... L’amour n’a besoin que d’un cœur qui bat pour s’exprimer. C’est ce qui me fait dire que Thaïs, à un moment peut-être, n’a été qu’un cœur qui bat. Quand on est qu’un cœur qui bat, je crois qu’on est que de l’amour. »

E comme Espérance

« Il faut ajouter de la vie aux jours, lorsqu’on ne peut plus ajouter de jours à la vie. » Cette petite phrase du professeur Bernard, cancérologue, a ressurgi, salvatrice, dans la tourmente. Grâce à elle, les parents de Thaïs vont s’accrocher à cette certitude qu’ils peuvent toujours quelque chose pour leur enfant, même si cela ne se situe pas du côté de la médecine ou de la guérison : « J’ai proportionné mon amour aux souffrances de Thaïs. Quand elle a beaucoup souffert, je l’ai beaucoup aimée. Cela nous a permis de traverser la souffrance sans jamais désespérer. Par la suite, on s’est souvenue non de la douleur ressentie l’une et l’autre, mais de l’amour qu’on s’était donné mutuellement pendant ces moments. »

C comme Confiance

La maladie décelée chez Thaïs a permis la greffe de sa petite sœur Azylis dès sa naissance, une chance pour ce troisième enfant du couple, elle aussi porteuse de la leucodystrophie métachromatique, de voir son espérance de vie augmentée. Aujourd’hui, Azylis a cinq ans, est lourdement handicapée, mais grandit avec volonté et joie de vivre ! L’amour que Thaïs leur a enseigné a également permis à ses parents de pousser leur confiance en la vie jusqu’à avoir un quatrième enfant, Arthur, qui n’est pas porteur de la maladie, mais a été désiré profondément dès sa conception pour tout ce qu’il serait : « Depuis la naissance d’Arthur, je n’aurai plus jamais peur de la vie. J’ai poussé la confiance jusque-là, jusqu’à avoir ce bébé, jusqu’à dire tous les jours à Azylis que je l’aimais, jusqu’à accompagner Thaïs avec une certaine sérénité, jusqu’à sa mort… La seule chose qui inverse le courant de la peur, c’est l’amour. »

P comme Paradoxe

Le témoignage d’Anne-Dauphine Julliand étonne et interpelle par la présence permanente du paradoxe au cœur de son message. Le paradoxe d’un bonheur conforme au modèle de notre société qui vole en éclat pour laisser apparaître une nouvelle forme de bonheur plus existentiel, savouré jour après jour. Le paradoxe de l’espérance et de la confiance quand il n’y a plus d’espoir. Le paradoxe également d’une enfant fragile et sans défense qui devient pour ceux qui l’entourent un « professeur d’amour » et de vie : « Plus Thaïs a perdu, plus elle a gagné. Plus elle a été vulnérable, plus elle a grandi. Elle m’a appris des choses que je n’aurais jamais soupçonnées. Je n’ai jamais autant aimé et aussi bien appris à aimer qu’avec elle. Cette petite fille à la fin de sa vie, elle était sourde, muette, aveugle, paralysée. Elle était parfaitement en vie, elle était parfaitement petite fille. » Le paradoxe, enfin, de ce livre au succès inattendu qui se « lit avec des larmes mais que l’on finit avec le sourire ».

F comme Foi

Si Anne-Dauphine Julliand se dit profondément croyante, elle choisit dans son récit la « discrétion qui n’exclut personne ». L’Amour, nous dit-elle, est universel. La jeune femme parle cependant avec joie de cette dimension de sa vie et de la manière dont elle lui a permis de vivre l’accompagnement de Thaïs. Dans l’épreuve, elle a expérimenté que la foi ne préserve pas de la souffrance : « Croire en Dieu n’a jamais soulagé la douleur ressentie lorsque l’on perd un enfant. » La foi constitue cependant pour elle un appui et un repère pour garder le cap : « Ma foi est ma lampe frontale, elle m’éclaire sur mon chemin. »

H comme Héritage

Le livre d’Anne-Dauphine Julliand touche les cœurs et connait depuis sa parution un succès amplifié par les effets du bouche à oreille. La publication n’était pourtant pas son objectif. Ce sont les encouragements de son entourage, estimant que Thaïs, petite fille courage, pouvait encore faire du bien autour d’elle, qui l’ont décidée. Avant tout, Anne-Dauphine Julliand a écrit pour livrer un héritage à Arthur, son petit dernier né après le décès de sa sœur. Pour partager cette expérience de vie familiale avec son fils, Anne-Dauphine Julliand a choisi la médiation du livre qu’elle estime bien particulière : « Je me suis dit que j’allais mettre ce vécu par écrit, il le lira dans son coin, il le lira à son rythme, comme il veut, on en parlera après s’il le désire. »

R comme Relecture d’instants précieux et présents

Journaliste en presse écrite, Anne-Dauphine Julliand voit dans l’écriture son mode d’expression personnel : « Chacun a sa voie pour l’expression, il faut la trouver pour faire sortir de soi tout ce qu’on a vécu, pouvoir le vivre et le digérer, l’assumer et le relire autrement. » L’écriture lui a permis la mise à distance, mais également le rapprochement avec ce qu’elle a vécu : « Je me suis tellement appliquée pour décrire son odeur, ou sa peau, que les gens qui ont aimé Thaïs, quand ils relisent le livre, ont le sentiment de la retrouver un peu physiquement. » Une relecture qui prend la forme du journal rapportant les instants douloureux ou précieux tels qu’ils ont été vécus : « Ce qui est très étonnant quand on vit ce genre d’expérience, c’est qu’on n’est pas forcément dans le domaine du souvenir. On l’est pour les évènements, mais les sentiments sont toujours présents. Je n’ai pas eu besoin de revenir en arrière ou de fouiller pour retrouver la peine ou la joie, elles sont encore en moi. A un moment donné, je me suis dit qu’il serait bien qu’il y ait une trace écrite, à la fois de cette histoire et de ces sentiments. »

L comme le goût de Lire

Anne-Dauphine Julliand nous confie croire beaucoup en la lecture à la fois « source d’enrichissement, de détente, de divertissement… » Mais également moment « apaisant qui permet la coupure, la pause », un moment « où l’on n’est pas sollicité, où l’on ne se sent pas agressé ». La lecture, nous dit-elle, peut aider au cœur même de l’épreuve. Par ailleurs, pour elle, peu de gens peuvent réellement dire qu’ils n’aiment pas lire. La plupart n’ont simplement pas à leur portée un type de livre qui leur convient. En ce sens, les bibliothèques sont importantes, notamment les bibliothèques scolaires qu’aime fréquenter Gaspard, son fils aîné. Et la jeune mère de conclure : « J’espère que mes enfants seront de bons lecteurs. »

Sylvie Hendrickx

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