Avec Lola Mirabail, responsable du département des services aux publics de la Bibliothèque universitaire Paris 8

Publié le 3 avril 2017, par Françoise Vanesse


A l’heure de l’important afflux de réfugiés que connaît l’Union européenne, il est primordial pour les bibliothécaires de s’informer sur les stratégies à déployer afin d’accueillir ce public protéiforme et diversifié. Pour sensibiliser à cette mission, l’APBD organisait, en octobre 2016, un colloque consacré au « Parcours migrants » où intervenait, notamment, Lola Mirabail, conservatrice au sein de la bibliothèque universitaire Paris 8. Avec enthousiasme et conviction, cette jeune responsable persuadée du rôle civique des bibliothèques, prolonge ici les réflexions initiées lors de cette journée et nous livre les résultats d’une enquête qu’elle initia en 2014 consacrée à la façon dont les bibliothèques françaises envisagent cet enjeu d’intégration citoyenne.

Bibliothèques et immigration

F.V. En 2014, en vue de l’obtention du diplôme de conservateur des bibliothèques, vous avez consacré votre mémoire de fin d’études à l’accueil des primo-arrivants dans les bibliothèques publiques françaises. Quels sont les éléments qui vous ont orientée vers ce thème ?

L.M. Depuis longtemps, je m’intéresse aux interactions qui existent entre la bibliothèque, lieu social et culturel, et son territoire. La lecture publique a, j’en suis persuadée, un rôle civique important à jouer, notamment pour répondre à la question cruciale de l’intégration. Me pencher spécifiquement sur l’accueil des migrants en bibliothèque m’a tout naturellement permis d’aborder ces sujets de façon très concrète.

F.V. Votre travail est-il pionnier en la matière ?

L.M. En 2014, aucun ouvrage ou article ne dressait un panorama complet de cette question. Bien sûr, des points plus spécifiques avaient été abordés tels que les fonds en langues de l’immigration ou les actions en faveur des communautés. Mais, aucune étude approfondie ne s’intéressait à l’accueil des migrants dans les bibliothèques françaises et à l’ensemble des actions pouvant être menées pour améliorer ces initiatives.

F.V. Pour mener à bien votre travail, vous avez enquêté auprès d’un nombre important de bibliothèques publiques. Comment avez-vous procédé ?

L.M.  J’ai tout d’abord effectué une étude quantitative afin de dresser un état des lieux de la façon dont les migrants sont accueillis aujourd’hui dans les bibliothèques. Ensuite des entretiens semi-directifs m’ont permis de mieux cerner la manière dont ces professionnels conçoivent le rôle de la bibliothèque dans l’accueil des migrants et de mettre à jour des situations innovantes.

F.V. Comment votre démarche a-t-elle été perçue ?

L.M.  Très positivement ! La grande majorité des bibliothécaires interrogés s’est montrée très enthousiaste et curieuse des résultats de l’enquête. Ils sont persuadés que l’accueil des immigrés est un enjeu majeur pour la profession.

F.V. Dans les bibliothèques interrogées, la prise en compte du public migrant passe le plus souvent par des acquisitions de documents. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

L.M. En effet, la prise en compte du public migrant passe majoritairement par le développement de collections adaptées. Les services de médiation particuliers ou de projets plus spécifiques viennent bien après. De façon globale, on peut donc affirmer que l’offre des bibliothèques est souvent limitée et que, d’autre part, dans la majorité des cas, cette politique d’accueil ne résulte pas d’une réflexion approfondie. Elle fait d’ailleurs souvent suite à la demande d’une structure extérieure ou est le fruit de l’initiative d’un membre de l’équipe motivé par ces questions. Il n’existe pas de stratégie globale et pas de réel portage politique de cette problématique.

F.V. D’autre part, vous avez observé que les collections proposées pour ce public sont le plus souvent constituées de livres en FLE (Français Langue Etrangère) et non de livres en langue d’origine ?

L.M. Il s’agit en effet essentiellement d’ouvrages visant l’apprentissage du français et peu de bibliothèques, à peine 5%, proposent des documents permettant aux migrants de garder un contact avec leurs pays d’origine. Il n’en va pas de même partout. La bibliothèque municipale de Montréal, par exemple, propose des collections en 18 langues dont l’arabe, le chinois, le créole, l’hindi ou le japonais. Heureusement, certaines bibliothèques françaises sortent, elles aussi, du lot : c’est le cas de la bibliothèque de Bobigny qui propose des collections de livres mais aussi de films issus des pays d’origine des communautés présentes sur son territoire : turque, arabe, chinoise et tamoul.

F.V. Au niveau des actions déployées par les bibliothèques, votre étude révèle également que le dialogue interculturel passe au second plan voire se heurte à de nombreuses réticences dont la peur du communautarisme.

L.M. Tout à fait. Les actions en faveur du dialogue interculturel ne sont pas toujours bien perçues et peu de bibliothèques les développent. Ces réticences sont en partie liées à une conception de l’intégration qui repose, en France, plus sur l’assimilation que sur la reconnaissance des différences. Les projets en faveur de l’apprentissage du français et de la culture française sont, à l’inverse, plus consensuels. Pourtant c’est précisément en s’adressant aux communautés qu’on évite le repli communautariste. En effet, permettre la représentation de différentes cultures au sein d’une bibliothèque permet de faire en sorte que toutes les personnes puissent se retrouver ensemble dans la même structure favorisant ainsi leur bonne intégration dans la cité !

F.V. A votre connaissance, ce dialogue interculturel est-il davantage mis en avant dans des bibliothèques étrangères ?

L.M.  Oui, c’est le cas de plusieurs bibliothèques scandinaves ou nord-américaines comme la bibliothèque du Queens à New York qui a, par exemple, conçu une programmation d’actions culturelles spécifiques pour les nouveaux américains : "Le New Americans Program" célébrant les arts et la littérature des différentes communautés du Queens. En France, de telles initiatives sont encore minoritaires. Pourtant les manifestations qui mettent à l’honneur un pays, une langue, une culture rencontrent souvent un vif succès auprès des publics migrants et du large public comme le montrent les initiatives menées par la bibliothèque municipale de Montreuil.

F.V. Cette façon d’aborder le sujet pourrait-elle être envisagée comme le reflet de certaines appréhensions inconscientes de la société française envers ce public ?

L.M.  Plus que des appréhensions, je pense qu’il y a, en vérité, une réelle méconnaissance des publics migrants dans notre société. En matière d’immigration, les idées reçues sont abondantes. Nous avons tendance à une homogénéisation sociale et intellectuelle de ce public alors que chaque territoire et chaque public migrant possèdent ses particularités qu’il est nécessaire de bien cerner si la bibliothèque souhaite développer des actions adéquates. Bien accueillir les publics migrants nécessite donc de s’extraire de ses propres représentations afin d’avoir une analyse fine et objective des attentes de ces personnes.

F.V. Les stratégies de communication envers ce public doivent, elles aussi, être bien spécifiques. Qu’en est-il ?

L.M. En effet, il y a une importante diversité des publics migrants et chacun a besoin de stratégies de communication spécifiques. Or, peu d’établissements en développent. Certains cependant font de réels efforts avec la mise en place d’outils simples tels que des plaquettes traduites en plusieurs langues, un site web avec une page multilingue, le recours à des médiateurs polyglottes...

F.V. L’enquête révèle également que l’offre de service déployée par les bibliothèques interrogées est, quant à elle, souvent limitée à la simple visite de la bibliothèque ?

L.M. En effet, dans la majorité des cas, cette offre se cantonne à la simple visite de l’établissement ou à la mise à disposition d’espaces pour accueillir des associations travaillant avec ce public. Ces visites sont certes essentielles mais d’autres projets comme l’apprentissage linguistique ou la médiation peuvent être proposés. Or, seulement 30% des bibliothèques interrogées en mettent en place.

F.V. Certaines bibliothèques, une minorité selon votre étude, mènent des actions innovantes. Pouvez-vous nous en présenter ?

L.M.  J’ai rencontré au cours de mon enquête des bibliothécaires passionnés et humanistes et ce n’est pas facile d’opérer une sélection mais je retiens plus particulièrement deux projets qui illustrent bien l’importance de développer des partenariats entre les bibliothécaires et des professionnels de l’accueil des migrants. Ces deux actions concernent deux domaines différents - la médiation et l’apprentissage linguistique - et s’adressent à deux types de publics : des migrants présents en France depuis plusieurs années pour la première et des migrants en transit pour la deuxième, preuves que l’accueil des migrants doit être à l’image de ce public : protéiforme et diversifié.

F.V. En quoi vous ont-elles marquée ?

L.M.  La médiathèque Lucie Aubrac de la ville de Vénissieux située dans la banlieue lyonnaise a construit, en partenariat avec une formatrice FLE, des activités autour de l’apprentissage du français sous forme de valises d’animations traitant de thèmes variés : la santé, les métiers, la photo... Au cours de ces ateliers, destinés à deux centres sociaux du territoire, les bibliothécaires et la formatrice FLE se partagent des tâches bien définies : les bibliothécaires proposent les activités et les ressources mais ne corrigent pas le français.

F.V. Et la seconde ?

L.M. Elle concerne le dispositif de médiation sociale-interprétariat mis en place à la Bpi (Bibliothèque publique d’information) en partenariat avec France Terre d’Asile suite à l’arrivée massive des migrants afghans dans la bibliothèque en 2010. Concrètement, une permanence est organisée deux fois par semaine dans le hall de la Bpi. Elle est tenue par un membre de FTA, migrant lui-aussi, connaissant les ressources de la Bpi et parlant une grande variété de langues, dont le dari, le pachto et l’anglais. Ce dispositif a atteint ses objectifs. Toutefois, le profil des migrants ayant évolué, ce partenariat est sûrement voué à faire de même.

F.V. Vous pointez également comme très productifs les ateliers de conversation ?

L.M.  Oui, l’organisation d’ateliers de conversation en français est un bon moyen d’accompagner les immigrés dans leur formation linguistique. Comme il ne s’agit pas de cours de langue, un niveau minimal de français est requis. L’objectif est simplement de se réunir et d’échanger autour d’un thème, d’un jeu, etc. Cette forme décontractée d’ateliers rencontre beaucoup de succès auprès du public migrant et est considérée comme très valorisante par les bibliothécaires. Ils se développent de plus en plus dans les bibliothèques françaises et j’en ai moi-même mis en place dans la bibliothèque universitaire de Paris 8.

F.V. A la fin de votre travail, vous concluez qu’il faut repenser la façon dont ce public est accueilli par les bibliothèques !

L.M.  Tout à fait ! Dans de trop nombreuses bibliothèques, les actions de médiations sont envisagées au cas par cas et selon la bonne volonté des bibliothécaires. Or, toute politique d’accueil doit s’inscrire dans une politique globale d’établissement et s’articuler avec ses autres facettes : la formation du personnel, le développement de partenariats, la stratégie de communication… Il est également nécessaire d’essayer d’avoir l’analyse la plus fine possible de ses publics, effectifs et potentiels, pour bien répondre à leurs besoins.

F.V. Au terme de votre étude, quel bilan dressez-vous ?

L.M.  En France, le bilan est contrasté puisque, même si la grande majorité des établissements juge qu’il est nécessaire de développer des actions pour accueillir ce public, seule une minorité de bibliothèques met réellement en œuvre une stratégie d’accueil spécifiquement pensée. Toutefois les mentalités évoluent. Aujourd’hui, de plus en plus de bibliothèques s’emparent de ce sujet et réfléchissent à la façon dont pourrait être amélioré cet accueil. Il y avait un véritable déficit en matière de formation lorsque j’ai effectué ce travail mais les choses sont en train de changer. Plusieurs colloques, formations et journées d’études ont été organisés ces dernières années autour de ce thème. La Bibliothèque publique d’information a notamment organisé deux journées d’étude en 2015 et en 2016. De même, en octobre dernier, en Belgique, l’Association Professionnelle des Bibliothécaires et Documentalistes (NDLR- APBD *) a organisé une session de formations autour du « Parcours migrants » auquel j’ai d’ailleurs participé comme intervenante.

F.V. Pensez-vous que votre mémoire peut donner une meilleure visibilité aux actions menées ?

L.M.  J’ai eu de nombreux retours allant dans ce sens. Mon travail a été, notamment, utilisé pour construire des formations ou des journées d’étude. Je suis régulièrement invitée pour le présenter et j’en suis très heureuse. J’insiste sur le fait qu’il est complètement libre de droit et consultable sur internet.

http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/documents/65178-lecture-publique-et-immigrations-l-accueil-des-primo-arrivants-dans-les-bibliotheques-francaises.pdf

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Les Coups de cœur artistiques de Lola Mirabail