Avec Emmanuel Bodart, Chef de service aux Archives de l’Etat à Namur

Publié le 7 septembre 2015, par Françoise Vanesse


Méthode et décloisonnements
C’est dans les locaux flambants neufs où le service qu’il dirige a emménagé depuis un an que nous rencontrons Emmanuel Bodart, Chef de travaux et Chef de service aux Archives de l’Etat à Namur. Ce qui frappe, de prime abord chez cet archiviste, c’est son attitude très méthodique presqu’emblématique des missions dévolues à sa profession. Mais, peu à peu, l’important esprit d’ouverture de cet historien passionné de tennis de table et de cinéma fait également surface. Et c’est avec beaucoup de convivialité que nous échangeons au sujet de l’organisation des Archives, des importantes mutations que connaît cette profession confrontée à de nouvelles responsabilités et de la nécessité d’ouvrir ce service aux attentes multiples de nouveaux publics.

F.V. Il y a un an et demi, le service que vous dirigez a emménagé dans ces locaux flambants neufs au cœur de l’imposant Boulevard Cauchy à Namur. Pourquoi cette nouvelle infrastructure ?

E.B. L’ancien bâtiment de la rue d’Arquet disposait d’une surface insuffisante mais, surtout, ne répondait plus aux nouvelles normes de conservation du papier qui se sont prodigieusement affinées ces dernières années. Cette nouvelle construction, au contraire, dispose de deux bâtiments accolés qui permettent une climatisation adaptée mais aussi une rationalisation de nos activités. A l’arrière se trouve une zone totalement sans fenêtres : réservée aux archives, elle est complètement passive et la température comme l’humidité y sont contrôlées automatiquement. En façade, une zone avec fenêtres, en basse énergie, est ouverte au public et au personnel.

F.V. A vous entendre, la conception du lieu semble en totale adéquation avec les missions de vos services. Avez-vous été concertés ?

E.B. Tout à fait et nous avons assisté à toutes les réunions en concertation avec la Régie des bâtiments. De plus, les architectes ont fait preuve de beaucoup d’ouverture et d’écoute à l’égard des demandes du personnel. J’évalue bien la chance que nous avons par rapport à d’autres projets de réaffectations.

F.V. Généralement, on a l’impression que la conservation est le travail principal d’un service d’Archives de l’Etat. S’agit-il de la partie visible de l’iceberg ?

E.B. Oui, certainement car nos compétences vont bien au-delà. De manière générale, la loi confie aux Archives de l’Etat une mission de surveillance de la gestion des archives des services publics. Concrètement, nous allons au sein de ces services pour voir comment elles sont gérées et ce, depuis le niveau central avec les services publics fédéraux jusqu’au niveau local avec les fabriques d’églises par exemple. De cette loi découle l’autorisation d’élimination d’archives qui, elle aussi, est octroyée par nos services. Cela signifie qu’un service public, une commune, un service des finances qui veut éliminer des documents parce qu’il n’en a plus l’utilité doit recevoir l’autorisation de l’archiviste général ou de son délégué en province. Bien entendu, une étude est réalisée avant l’octroi de cette autorisation.

F.V. Vous êtes confrontés à une masse de documents à intégrer à votre fonds. Comment cela fonctionne-t-il ?

E.B. Oui, en effet, après trente ans, les services publics fédéraux ont l’obligation de verser leurs archives auprès de nos services. Par contre, au niveau local (communes, CPAS, fabriques d’églises…), il n’y a pas d’obligation mais la loi prévoit une possibilité de passer une Convention et c’est ainsi que nous accueillons, aussi, les archives historiques de ces institutions locales.

F.V. Quels sont les profils des chercheurs qui consultent chez vous ?

E.B. Ils appartiennent à quatre groupes principaux : les généalogistes mais ce groupe s’est un peu réduit dernièrement suite à la publication sur Internet des registres paroissiaux ; des chercheurs en histoire, des passionnés d’histoire locale et enfin des chercheurs administratifs qui nous consultent pour des informations concernant leurs droits.

F.V. De quelle équipe disposez-vous pour accomplir toutes ces missions ?

E.B. Actuellement, nous sommes sept équivalents temps plein pour la gestion des collections, le travail dit scientifique sans oublier le personnel administratif. C’est vrai que nous pourrions être davantage… Pour exemple, nos collègues des Archives Départementales des Ardennes, un dépôt que l’on peut comparer au nôtre, sont au nombre de dix-huit ! Il serait effectivement intéressant pour nous d’avoir un peu plus de personnel mais, malgré ce léger déficit du nombre, nous relevons le défi !

F.V. Quelles sont les correspondances mais aussi les divergences que vous établissez entre vos missions et celles des bibliothèques ?

E.B. Nous nous situons dans un même domaine de documentation ! Et beaucoup d’éléments nous unissent puisque nous avons des salles de lecture, nous faisons de la conservation du papier, sommes ouverts au numérique et essayons de donner des outils de recherche aux lecteurs. Mais la divergence essentielle réside, à mes yeux, dans la manière d’organiser notre documentation. Ainsi le classement d’une bibliothèque va être thématique alors qu’aux Archives, nous conservons l’intégrité des fonds qui nous arrivent. Ainsi, nous maintenons les documents dans leurs fonds respectifs au lieu de les rassembler par sujet et c’est par le biais de recoupements que le chercheur, en s’appuyant sur un moteur de recherche et des inventaires d’archives réalisés sur base de normes internationales, pourra aller picorer les informations qu’il souhaite dénicher !

F.V. A l’instar des bibliothèques, votre profession connaît d’importantes mutations ?

E.B. Tout à fait. Notamment, le passage au numérique qui concerne deux aspects de notre travail. Premièrement, la consultation avec la numérisation de certains documents anciens et précieux qui sont soumis à des risques de détérioration lors des manipulations. Et deuxièmement, la consultation de documents produits seulement au niveau digital. Il s’agit, sans aucun doute, d’une part grandissante de notre métier à l’avenir : définir les processus de conservation mais aussi tout l’environnement numérique sécurisé afin de garantir la conformité et l’authenticité du processus de migration du document original.

F.V. Dernièrement, le gouvernement fédéral a inscrit, dans sa déclaration de politique générale, le passage au « paperless » pour l’ensemble des services publics fédéraux. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

E.B. Oui et non car il s’agit d’une déclaration d’intention et, pour l’instant, ce sont des projets pilotes qui sont menés : certains agents ne travaillent plus du tout avec des dossiers papiers. Mais comment cela va-t-il, concrètement, se pratiquer à l’avenir ? On l’ignore car toutes les modalités ne sont pas encore définies et on attend des retours d’expériences. Jusqu’ici, fort heureusement, les archives de l’Etat ont été concertées dans la réflexion pour les classements des fichiers numériques afin de bien s’assurer du côté pérenne des documents qui ont une valeur historique. Même au niveau électronique, les Archives jouent leur rôle de consultance et de surveillance.

F.V. Comment envisagez-vous l’évolution de votre travail dans les années à venir ?

E.B. Il est clair qu’il y aura toujours une dimension conservation papier au sein de nos dépôts. Ainsi, si l’on conserve une charte du 10ème siècle, on ne conçoit pas de l’éliminer parce qu’elle aurait été numérisée. Actuellement, sur un potentiel de 35 km, il nous reste plus ou moins 20 km ! Cela n’est pas si énorme car nous avons un important rattrapage de versement à faire. Mais bien sûr, il est probable que la part des documents numériques et leur gestion va aller croissant entrainant un ralentissement d’un point de vue papier. Ensuite, le numérique prendra certainement le dessus mais là, je ne sais pas encore quand ! (1)

F.V. Comme les bibliothécaires, vous devez conquérir de nouveaux publics ?

E.B. En effet, nous cherchons à mettre en valeur la dimension culturelle que nos fonds et services peuvent offrir à un public que nous souhaitons toujours plus large. Pour cela, nous accueillons des expositions, des conférences, des visites guidées… Nous avons également organisé des journées portes ouvertes au cours desquelles nous proposions un atelier de recherche : le public venait avec un sujet et questionnait l’organisation de son parcours. Ce projet a amené de nouvelles têtes en salle de lecture car les gens avaient une image un peu réductrice de nos missions, apparentant notre bâtiment à un grand conservatoire, complètement fermé !

F.V. Dans cette même dynamique d’ouverture, qu’en est-il de vos partenariats ?

E.B. Le partenariat le plus probant est celui que nous entretenons avec les A.P.N., Archives Photographiques Namuroises, une asbl qui avait des besoins spécifiques de conservation et de valorisation de ses collections. Cette collaboration débouche sur l’organisation d’une exposition annuelle dans notre grande salle du rez-de-chaussée. Celle-ci dynamise leurs fonds et met en avant l’aspect iconographique, souvent plus accrocheur au niveau du grand public. Prochainement, nous allons entamer un processus de numérisation de leurs fonds. Mais nous entretenons également des collaborations avec d’autres institutions : La Ville de Namur, son CPAS ou certaines écoles que nous accueillons de façon très ponctuelle, faute de personnel…

F.V. La dimension poétique est très présente dans l’univers des archives et vos expositions la mettent bien en évidence…

E.B. En effet, elle est importante et j’y suis très sensible. Pendant notre déménagement, plusieurs artistes photographes ont réalisé une série de photos de l’ancien dépôt et les ont mises en correspondance avec le nouveau. Parallèlement, lors du vernissage, un ami a lu un petit récit poétique évoquant la démarche d’une personne qui retrouve des traces de son passé. D’autres démarches similaires sont prévues en 2017 et 2018. En conclusion, je pense que, tous ces événements, couplés à notre travail quotidien, illustrent notre ancrage dans le passé mais aussi et surtout notre volonté de nous ouvrir aux attentes multiples et diversifiées de nos contemporains.

Propos recueillis par Françoise Vanesse

(1)/ NDLR. Sur l’avenir des archives, consulter l’ouvrage récent : Françoise Mirguet et Paul Servais, L’archive dans quinze ans. Vers de nouveaux fondements, Editions Academia, juin 2015.

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Les coups de coeur artistiques d’Emmanuel Bodart

-* Un film ?

Cinema Paradiso
« Simplicité, nostalgie, émotion ... et un Philippe Noiret époustouflant font de ce film l’un de mes préférés. »

-* Un livre ?

Avenue des Géants de Marc Dugain ( Gallimard, 2012)
« Alors que le sujet est particulièrement dur, Marc Dugain parvient, par une écriture d’une justesse remarquable, à nous faire entrer dans la peau du personnage principal. »

-* Une musique ?

Concerto n° 3 de Rachmaninov
« Ce concerto m’a réconcilié avec l’ « histoire » musicale de ma famille tant il paraît le fruit du génie ».

-* Une peinture ou une œuvre d’art ?

Composition VIII de Kandinsky
« La découverte de Kandinsky remonte à mes études d’histoire et, dès la première vision de cette œuvre, celle-ci m’est apparue comme une évidence ! »