Rencontre

Avec Béatrice Libert

Art et poésie

Publié le 27 février 2012, par Françoise Vanesse


Rencontrer l’auteur Béatrice Libert, c’est s’immerger dans un bain de démarches et de projets dont les dénominateurs communs sont le dialogue avec l’art et la soif irrépressible de transmettre. Que ce soit côté bureau lorsqu’elle s’inspire d’une peinture pour composer un poème ou côté jardin quand elle organise dans son quartier liégeois de Cointe un parcours annuel d’artistes ; la poétesse liégeoise explore avec passion l’apaisement que l’art peut apporter dans nos vies. Mais cette soif foisonnante de croiser les différents moyens d’expression se conjugue aussi avec la nécessité de transmettre ! Alors, celle qui fut professeur de français va vers le public, organise des ateliers d’écriture et publie des ouvrages qui allient l’art et la pédagogie et ce, toujours dans le même esprit… d’éveil de l’imaginaire.

Béatrice Libert et Angélique Giorgio

F.V. : La dernière fois que nous nous sommes rencontrées, c’était au milieu de votre jardin dans le cadre d’un « Parcours d’artistes » que vous organisez depuis 7 ans au printemps, dans votre quartier liégeois de Cointe. Accompagnée d’une harpiste, vous lisiez vos poèmes au public présent tandis que, quelques mètres plus loin, dans votre lavoir, les participants pouvaient découvrir une exposition de vos réalisations graphiques accompagnées de photographies de Maurice Cloots, artiste invité. Ce dialogue avec l’art, sous toutes ses facettes, semble l’une de vos priorités ?

B.L.  : En effet, cette envie et ce besoin d’allier différentes démarches artistiques, je les ai toujours ressentis, et même dès l’école primaire parce que notre institutrice aimait peindre, jouer de la musique et nous faire écrire. C’était novateur, au tout début des années soixante, d’allier ces domaines : écrire, dessiner, peindre, broder, jouer du théâtre, et même danser. C’était merveilleux, vraiment, l’école du bonheur ! L’école de Frennet avant Frennet ! Cette enseignante a joué un rôle capital dans ma vie de femme et de prof, et je me souviens de la cassure douloureuse que fut mon entrée au collège à Huy. J’étais malheureuse parce que je ne retrouvais pas cet esprit d’ouverture de mon ancienne école.

F.V. : Justement, ce besoin d’ouverture, de décloisonnement, il faut pouvoir en prendre conscience et surtout pouvoir l’assumer tout au long du parcours…

B.L.  : C’est tout à fait vrai. Quand on commence, on ne sait pas que ça va durer toujours. On part, et c’est un peu comme un paysage que l’on découvre peu à peu, un pas après l’autre. Mais, déjà enfant, je savais que cette conjugaison de moyens d’expression me rendrait heureuse. C’est à cette époque que j’ai découvert le bonheur de l’art, ce que cela peut pacifier en nous. Depuis, je suis convaincue que chacune et chacun doit tenter d’accéder à son « homo poeticus » ! Or la plupart du temps, on l’étouffe, on le boude pour différentes raisons. C’est dommage, car, outre le fait qu’il procure satisfactions, bonheurs et épanouissements, il est, je crois, à la base de la confiance en soi si prépondérante lorsque la vie nous donne des coups. Un remède contre le désespoir et l’ennui.

F.V. : En tant qu’enseignante, comment avez-vous vécu ce besoin de synergies entre les différentes formes d’expression ?

B.L.  : Dans mes classes, j’ai développé cette pluridisciplinarité dès la fin des années septante. On n’en parlait pas encore. J’ai mis en place des projets, des ateliers d’écriture, que l’on appelait « Expression écrite », et des cours de déclamation. Les murs de mes classes étaient tapissés de travaux d’élèves, alliant textes et images. Avec des collègues, nous montions des expositions, des récitals, des concours de poésie. J’ai invité des auteurs, mis en place un cours de théâtre et nous avons monté des spectacles avec les élèves. Un vrai projet d’école. Mon premier manuel scolaire à ce sujet date de 1983.
Guillevic écrit : « Il faut que les enseignants apprennent à se servir de la poésie puisqu’ils doivent la servir ». Cette phrase me réjouit. Quand je l’entends, j’ai envie de rebondir sur le thème de la lenteur. Tout cela, c’est du travail lent. On ne peut pas aimer la poésie du jour au lendemain, ni d’ailleurs devenir lecteur du jour au lendemain. On est dans un travail de fond, de lenteur. Et aujourd’hui, on est dans le monde de la vitesse. Comme pour nous empêcher de penser. C’est peut-être ce qui détourne tant de jeunes du travail intellectuel : ils découvrent avec stupéfaction que cela nécessite beaucoup de temps. Eh oui, l’acquis n’arrive pas tout de suite. Il faut donc refaire l’éloge de la bonne lenteur, celle de la maturation. On observe trop souvent aujourd’hui une tendance à uniformiser formation, réflexion, création, action. C’est le mythe identitaire que dénonçait déjà naguère André de Peretti. Ses séminaires m’ont beaucoup marquée. Il faut varier, diversifier, différencier, adapter ses pratiques.

V.D. : Avez-vous connaissance de projets de promotion de lecture ou d’écriture qui encouragent la transversalité ?

B.L. : Quand je pense à ce sujet, ce sont surtout des lieux qui me viennent directement à l’esprit, et il y en a beaucoup, fort heureusement, en Communauté française ! Pour les poètes, cette dimension est évidente car, de tout temps, ils ont collaboré avec des peintres, des graveurs, des comédiens, etc. Parmi ces lieux, on peut citer la Maison de la poésie d’Amay et de Namur, L’Aquilone, la Casa Nicaragua, Les Brasseurs, sans compter tous les centres et cercles culturels qui œuvrent en ce domaine. Les projets y sont légion. Je participe à ceux de la maison de la poésie d’Amay, alliant textes et créations plastiques.

F.V. : Vous ne pensez pas à citer le mot « bibliothèque » quand vous évoquez ce sujet ?

B.L.  : C’est vrai, ce n’est pas le premier terme qui me vient à l’esprit … Et pourtant, à Liège, les « Chiroux » organisent des expositions de gravures et de livres d’artistes. J’ai été invitée dans une bibliothèque de Bruxelles qui proposait, parallèlement à notre rencontre, une exposition. Je pense que les choses bougent là aussi, mais sans doute plus imperceptiblement.

F.V. : J’ai lu que vous aviez été responsable d’une bibliothèque ?

B.L.  : Oui, en effet. A l’Institut où j’enseignais, nous avions une bibliothèque paroissiale ouverte au public et aux élèves. On comptabilisait avec fierté 17.000 prêts par an ! Nous avons doublé l’espace et conçu une salle de classe-bibliothèque et je m’en suis partiellement occupée. Nous pouvions compter sur le soutien de la direction persuadée de la nécessité de promouvoir la lecture intra muros. Un établissement scolaire sans bibliothèque, c’est, à mon sens, inconcevable. Et ça, c’est un regret que j’ai par rapport à notre Communauté française. En France, chaque établissement possède sa bibliothèque. Ici, on chicane. Or c’est essentiel.

F.V. : Vous avez pris en charge des formations pour les enseignants. Quels étaient vos objectifs ?

B.L.  : Oui, j’ai donné quelques formations pour les enseignants dans le cadre de l’IFC (NDLR : Institut de Formation Continuée), mais j’y ai renoncé faute de temps. Je souhaitais former les participants à la lecture-écriture poétique, faire en sorte que même celui ou celle qui pense ne pas en être capable, puisse y arriver et s’étonner. A l’issue de mes deux journées de formation autour de Magritte, par exemple, chaque participant est reparti avec ses textes mis en page artistiquement.

V.D. : C’est ce même esprit qui anime la collection « L’horizon délivré » des éditions « Couleur Livres » dont vous êtes responsable ?

B.L. : Exactement. Dans cette collection, je souhaite promouvoir des démarches de création interdisciplinaire, littéraire et artistique, et fournir une grande quantité de pistes didactiques aux enseignants, bibliothécaires, animateurs, parents, etc. Cette collection allie art et pédagogie. Parmi les artistes abordés, il y a eu Maurice Carême et Magritte. Je termine le troisième volume autour du poète et romancier français Jean Joubert.

F.V. : L’édition n’est pas le seul moyen que vous avez pour joindre le public. Vous organisez aussi des ateliers d’écriture…

B.L. : Et c’est une grande joie ! Nous nous retrouvons dans la belle Maison de la poésie de Namur, un samedi par mois, avec un programme précis, publié sur mon blog et sur le site de la Maison. On peut y lire des écrits d’atelier. C’est notre huitième saison ; on abordera différents thèmes comme, par exemple, « Poésie et musique », « Poésie et ADN », « Regards de trois femmes poètes », « Autour de Jean Follain, de Jacques Izoard », etc. C’est un travail qui me tient à cœur, qui nourrit l’esprit et la sensibilité, qui ouvre pas mal d’horizons. J’essaie de rencontrer les attentes de chacun-e.

V.D. : Quand on dialogue avec vous, on ressent que, au-delà des notions de rencontre avec l’art et d’épanouissement via la poésie, les idées de combats, de résistance semblent importantes dans votre parcours.

B.L. : Pour pouvoir réaliser ce que je fais aujourd’hui, écrire, peindre, dessiner, susciter le rapprochement et le dialogue entre des démarches artistiques différentes, j’ai dû lutter et, encore à l’heure actuelle, c’est parfois comme si je n’y avais pas droit ! Pour pouvoir créer, ma mère exigeait que j’exécute une grande série de tâches ménagères. Pour elle, l’art était superflu. J’ai dû me battre en tant qu’enseignante et défendre mes façons de voir et d’agir auprès de collègues masculins dont la plupart, soit dit en passant, ne suivait aucune formation continuée… Sur le plan littéraire, là où le bât blesse, c’est dans la représentation sociale de l’écrivaine. Les femmes poètes sont sous-représentées que ce soit en librairie, dans les congrès, les colloques, les anthologies, les essais, les jurys,… Cette disproportion n’est pas du tout représentative. Le domaine de la poésie reste encore un monde d’hommes, même si des choses ont évolué.

V.D. : Que faites-vous face à cela ?

B.L. : Je réagis gentiment mais fermement. Dernièrement, lors d’un beau colloque sur le thème essentiel de « Poésie et Spiritualité », aucune femme n’était invitée à prendre la parole. J’ai protesté.
F.V. : Et au niveau de la promotion de vos livres, comment cela se passe-t-il ?

F.V. : Et au niveau de la promotion de vos livres, comment cela se passe-t-il ?

B.L.  : Là aussi, pour les poètes, c’est un combat ! Il est préférable d’être derrière tous ses livres : rencontres, lectures, signatures. Il convient de soutenir les éditeurs qui nous font confiance. Or c’est difficile, car, en librairie, les livres de poésie suivent une rotation lente, alors ils disparaissent très vite des rayons. L’idéal, c’est de créer des liens personnalisés avec quelques libraires et avec le public. Je voudrais aussi souligner la qualité du travail effectué par le Service de la « Promotion des Lettres ». Son soutien est capital. Et d’ailleurs, comme dans « Le Carnet et les Instants », dont nous avons toutes les raisons d’être fiers, il n’y a pas ce clivage « homme-femme » dont nous parlions tout à l’heure.

V.D. : Vos poèmes croisent l’actualité. Quels sont les différents combats avec lesquels vous vous sentez en empathie ?

B.L. : Mes poèmes évoquent les problèmes de ce temps : liberté de l’homme et de la femme, préservation de la nature, de la qualité de la vie, spiritualité, liberté de penser et d’agir dans une société d’hyperconsommation où nous sommes esclaves de l’avoir. Poésie pour mieux être. J’aime aussi rencontrer les jeunes dans leurs classes afin de leur montrer que quelque chose d’autre existe qu’ils n’ont pas l’occasion de voir souvent… C’est aussi un combat essentiel, cette diversité des mondes intérieurs. Et puis, il y a ce souci qui m’est cher de mettre l’art au milieu du village. Je suis une poète engagée. D’où le festival intergénérationnel et interdisciplinaire que j’ai fondé dans mon quartier, « Cointe-Montmartre », basé sur la citoyenneté participative. Cela correspond à mon souhait de faire (re)connaître les talents cachés que je croise sur ma route. C’est ainsi que l’on peut réellement changer la ville et la vie. En s’engageant.

F.V. : Et, pour conclure cette rencontre, pourriez- vous citer un ou des projets futurs que vous aimeriez voir se concrétiser prochainement ?

B.L.  : J’ai plusieurs manuscrits en chantier dans mes cartons, notamment des projets pour la jeunesse : des albums et une pièce de théâtre. Peut-être aussi une nouvelle collection de poésie pour la jeunesse, si tout va vraiment bien ! Et puis je me suis remise à peindre… Un bonheur !

Propos recueillis par Françoise Vanesse et Valérie Detry

Liège, 14 septembre 2011

Coups de coeur