Les Hauts - Quartiers

Regards croisés sur solitude et engagement

Publié le 18 mai 2009, par Gérard Durieux


L’œuvre magistrale de cet éminent représentant de la « littérature de la conscience » qui, par le biais de la description de l’inexorable déchéance d’un jeune écrivain, se mue lentement en une intériorisation de la misère.

GADENNE Paul, Les Hauts - Quartiers, Seuil 1973, Points roman, 1991.

« De tout ce qui est écrit, je n’aime que ce qu’on écrit avec son propre sang » (Nietzsche)
L’imposant roman posthume de cet écrivain de race, salué à sa sortie en 1973 comme « l’idiot » français, est assurément de cette encre-là. Soumis inexplicablement aux intermittences de la renommée littéraire, méconnu, ce romancier « congédié », mort de tuberculose en 1956, demeure pourtant « un des plus représentatifs de sa génération ». La publication de Baleine (Actes Sud, 1982), courte nouvelle en forme de chef-d’œuvre, l’a confirmé à suffisance.

« Tempête spirituelle qui se lève et retombe sur les Hauts-Quartiers » de Bayonne, l’œuvre magistrale de cet éminent représentant de la « littérature de la conscience », décrit l’inexorable déchéance de Didier Aubert. Jeune écrivain réfugié dans une chambre minable, attelé à une thèse sur « Les conditions de la vie mystique », il subit jusqu’au cauchemar les lancinantes, mesquines et intrusives agressions des habitants de ce quartier nanti et bien-pensant que Gadenne croque, abasourdi et féroce.
Ce texte de toutes les violences porte pourtant une intense et fascinante montée vers la lumière du personnage central. « Que vois-tu Jérémie ? » interrogent les premières pages. « Le printemps » répond la finale de ce texte christique dont l’écriture haletante désarçonna les lecteurs attachés à la prose toute de clarté des premiers romans.

C’est que Gadenne - et son héros avec lui- avait choisi la voie aride : jusqu’au bout il refuse de fuir : « Quelque insupportable que soit l’enfer que les hommes nous font vivre, de quel droit nous placerions nous au-dessus d’eux ou à l’écart ? » Le travail intellectuel se mue donc lentement en une prise de conscience aiguë de la misère. Au point qu’au terme d’ innombrables avatars, la thèse s’intitulera Taudis et vie spirituelle. Son auteur sera passé d’une solitude lacérée de bruits au silence effacé de l’engagement. La question de l’autre prenant ici une dimension collective, mineure dans les autres romans.
On ne peut qu’être frappé, par ailleurs, par le fait que « ce cri de douleur » rejoint l’admirable volonté de pauvreté jetée à la face des puissants par sa contemporaine Simone Weil
. Même souci d’authenticité, même recherche de la vérité, même nécessité intérieure de cohérence, même désir de la rencontre avec l’autre, de la communion avec les opprimés... par les chemins, certes différents, de la philosophie et du roman, mais au risque identique, choisi ou subi, d’une abnégation et d’un effacement de soi dont la fécondité interroge. Une semblable « métaphysique de l’effacement ».

Un grand livre donc à (re)lire en ces temps si bavards. Les HQ reconduit qui le veut à ses énigmes et à l’image affolée de notre monde. Mais l’année du départ de Gadenne, le poète québécois R. Lévesque écrivait ce texte universel : « Quand les hommes vivront d’amour, il n’y aura plus de misère... ». Le chant commun d’une fragile espérance.