Regards croisés sur solitude et engagement

L’insoumise

Publié le 18 mai 2009, par Gérard Durieux


Une biographie alerte de Simone Weil, cette brillante personnalité à la trajectoire fulgurante dont l’existence fut rythmée par l’engagement intellectuel mais surtout par le désir obstiné de vivre le sort des plus pauvres et des opprimés.

ADLER Laure, L’insoumise, Actes Sud, 2008

La célébration récente du centième anniversaire de la naissance de la philosophe Simone Weil a débouché sur la publication de très nombreux ouvrages. Celui de la journaliste et écrivain Laure Adler, « livre d’admiration », propose une alerte biographie de cette personnalité d’exception et constitue une approche très accessible de l’ œuvre de cette icône de la pensée contemporaine.
Au fil d’une vingtaine de courts chapitres, le récit remonte le temps : de sa mort à Londres, le 17 août 1943 à sa naissance à Paris, le 3 février 1909... Ses études d’enseignante, ses luttes syndicales, son travail en usine, sa prise de position dans la guerre d’Espagne, son exil à New-York et son engagement final pour combattre avec les siens la barbarie du régime nazi... A travers tout cela, la décision obstinée de vivre le sort des plus pauvres, des opprimés, de ceux qui souffrent.

« Vierge rouge » accablée, sa vie durant, de migraines lancinantes et mue par la « nécessité intérieure » de mettre jusqu’au bout son existence en accord avec ses aspirations extrêmes. Agaçante d’exigence, cette oratrice monocorde mais convaincante, peu soucieuse de sa mise, milite sans répit, lit pour apprendre encore et produit des textes de haute volée, éblouissants de rigueur conceptuelle, passionnés, ardents d’ « une intelligence qui brûle », soutenus par une culture prodigieuse, une curiosité insatiable de l’homme et une quête implacable de la vérité. Le tout ponctué par une pléthore de rencontres avec des intellectuels très renommés et qui marquèrent eux aussi leur époque. Adler explore pas à pas la trajectoire fulgurante de cette existence toute vibrante de rencontres, de prises de position en actes, d’entêtements et dont il n’existe que très peu « d ’équivalent » dans l’histoire de la philosophie.
Elle nous aide à saisir en quoi cette intellectuelle engagée fascine par son courage impressionnant,« sa qualité d’attention » et son absence de compromission.

Mais l’auteure peine davantage à nous faire entrer dans le mystère de cette affamée d’absolu, à évoquer sa rencontre avec le Christ, à dénouer ses incohérences sur sa judaïté et son rapport à l’Église... On approfondira dès lors avantageusement ces questions spirituelles avec le livre remarquable de Christiane Rancé Le courage de l’impossible ( Seuil, 2009). Le texte plein d’humour de sa nièce, Sylvie Weil, Chez les Weil, (Buchet-Chastel, 2009) nous la rend très humaine en ses contradictions.
Au terme de cet ouvrage néanmoins percutant, on saisit mieux la nécessité, pour notre monde à la dérive, de se tourner vers la clairvoyance et les questionnements de cette « athlète de la pensée ». Et l’urgence d’entendre l’affirmation de Camus qui, à la lecture de L’enracinement, le « grand œuvre » qu’elle rédigea à la fin de sa vie : « Il me paraît impossible d’imaginer pour l’Europe une renaissance qui ne tienne pas compte des exigences que Simone Weil a définies ».