Haïkus japonais d’hier et d’aujourd’hui

Publié le 3 janvier 2018, par Primaëlle Vertenoeil


Petit panorama d’un genre poétique entre tradition et renouveau

MINAMI SHINBÔ, Mes chats écrivent des haïkus, Editions Philippe Picquier, 2017

Un curieux petit félin, un titre plein d’humour : dès la couverture nous voici face à un recueil poétique contemporain aussi singulier qu’attirant et qui, lorsque l’on pousse plus avant la lecture, tient toutes ses promesses !
Du point de vue de la forme, tout d’abord, ce recueil se présente comme un ouvrage de littérature jeunesse : un grand format, du beau papier et des illustrations de grandes qualités. Le sujet du livre attire tout autant : l’auteur met en scène, à travers dessins et haïkus, ses chats, « des chats poètes, philosophes et bons vivants, qui adorent renifler la menthe-poisson et courir avec le lapin des neiges ». Chaque haïku constitue la narration par les chats eux-mêmes d’un instant de leur vie quotidienne racontée avec délicatesse et humour au fil des saisons : « Un jour d’automne/ j’écoute les sons d’un violon/ en compagnie d’un chien. »
Graphiquement, l’ouvrage est remarquable : la qualité de l’impression rend grâce aux dessins du poète (à ses heures dessinateur de manga) et aux belles calligraphies japonaises, conservées en regard du texte français. Tandis que de grands aplats de couleur apportent au livre une respiration, un temps de pause, propice à la réflexion. Notons enfin que la préface, dans laquelle chaque poème se trouve explicité avec beaucoup de clarté et de précision, invite à toutes les exploitations pédagogiques et didactiques !

BASHÔ, Haïkus et notes de voyage, Synchronique éditions, 2016

Moine-poète du 17e siècle, Bashô est considéré, par nombre de théoriciens de la poésie, comme le père du haïku japonais. À ce titre, les éditions Synchronique ont souhaité mettre à disposition du public francophone une partie non négligeable de son œuvre poétique.
Riche idée ! Car ces poèmes vieux de quatre siècles n’ont rien de dépassé ou de désuet. Et n’est-ce pas déjà le gage d’un poète de qualité que de produire une œuvre intemporelle ? On aurait envie de l’affirmer tant la poésie de ce sage est bouleversante. Les écrits de Bashô appartiennent au monde : ils ont été écrits dans une période de deuil et de tristesse. En effet, suite au décès de sa mère, le poète entreprend un pèlerinage sur les chemins escarpés du Japon de l’époque. De ce voyage, il tirera une philosophie de vie et d’écriture qu’il transmet dans ce recueil : « Décidé/A livrer mes os en route/Le vent me tenaille », « Epais brouillard/Facétieux aujourd’hui/Le Fuji se cache ». Des poèmes en guise d’invitations au voyage et à la méditation.
Imprimée sur du papier de grande qualité, la poésie de Bashô se trouve illustrée avec finesse par l’artiste contemporaine Manda. Cette dernière, initiée à « l’art japonais de la peinture-poésie », livre quelques haigas (croquis illustrant les haïkus) d’une grande beauté, principalement composés de fins traits et de légères touches impressionnistes. Ce recueil est, en soi, la rencontre de deux univers artistiques complémentaires qui proposent un très beau voyage au cœur du Japon.

RYÔKAN, Avertissements, Editions Le Bruit du temps, 2017

Le lecteur pourrait être surpris de prime abord face au texte de ce recueil au titre sévère, Avertissements. Il se compose d’une série de recommandations plutôt moralisatrices : « se féliciter toit haut d’une suite d’aubaines ou d’une abondance de profits ». Fidèle à leur ligne éditoriale, les Editions Le Bruit du temps ont malgré tout souhaité faire connaître au public francophone le poète japonais Ryôkan (1758-1831) considéré comme une légende dans son pays. Ce faisant, d’éclairantes notes explicatives, une biographie et une bibliographie, fruit d’un travail rigoureux du traducteur Alain-Louis Colas, donnent l’opportunité de saisir, dans sa globalité et de manière accompagnée, une œuvre poétique à la fois riche et complexe.
L’ouvrage se trouve par ailleurs enrichi, en seconde partie, d’un texte de Kera Yoshishige, intitulé Histoires curieuses touchant le maître de zen Ryôkan. Ayant connu le poète dans sa jeunesse, cet auteur a rassemblé des souvenirs inédits, parfois cocasses, sous forme de fragments littéraires.
Recueil hybride et surprenant, Avertissement relève le défi de proposer un portrait extrêmement vivant d’une figure poétique japonaise emblématique.

ÔOKA MAKOTO, Poèmes de tous les jours, Editions Philippe Picquier, 2017

Comprendre et faire partager l’engouement des Japonais pour la poésie, et plus spécialement pour le haïku, voici l’objectif avoué, aussi ambitieux que passionnant, de cet ouvrage publié aux éditions Picquier. A l’origine de ce recueil : la démarche du poète et critique Ôoka Makoto décédé en avril dernier. Depuis 1979, celui-ci a publié chaque jour dans le journal Asahi, le quotidien le plus prestigieux du Japon, une courte rubrique poétique intitulée « Oriori no uta », littéralement « Poèmes au jour le jour ». L’homme de lettres y présentait et commentait le poème d’un auteur contemporain ou plus ancien. Alors que la poésie trouve souvent peu de place au sein de la presse occidentale, la pérennité et le succès jamais démenti de cette rubrique interpelle ! De quoi susciter l’intérêt de l’éditeur français spécialisé dans la littérature asiatique qui produit cette belle anthologie d’haïkus. Celle-ci reprend une centaine de poèmes publiés dans le journal et classés par saison, ainsi que leurs commentaires. La diversité des poètes publiés permet au lecteur de découvrir un impressionnant panel de la poésie japonaise : « Dans son coin/Un camélia sent la présence d’un prunier » (Hayashibara Raisel, 1887-1975) ; « Sur une douce pierre dormons/Colline des fleurs » (Inbe Rotsû, 1651-1739). Un recueil qui se veut le reflet d’un intérêt collectif vivace – et osons le dire communicatif !