Carnets d’explorateurs. Partir à la découverte de soi en correspondance avec les arts et peuples premiers

Publié le 9 juillet 2013, par Valérie Detry


Proposer aux jeunes de « partir en voyage » en les sensibilisant à la richesse des « arts et peuples premiers » mais aussi, en résonnance, les éveiller à ce grand passage initiatique de l’enfance à l’adolescence ; voilà l’esprit qui a guidé ce projet. Celui-ci, dans un mouvement interdisciplinaire, fut habité de contes de peuples lointains, d’ateliers d’écriture ludique autour du thème du voyage, de créations graphiques s’inspirant de l’art aborigène, maori… et enfin de danses primitives. Ce parcours d’animations a été mené durant l’année scolaire 2012-2013 par Valérie Detry, à la bibliothèque du Centre Multimédia Don Bosco avec deux classes de 6e primaire et leur institutrice de l’école Don Bosco de Liège.

A l’origine de ce projet : un voyage qui fait sens

Certains voyages vous transforment de l’intérieur et vous donnent l’envie d’accompagner à votre tour les jeunes dans les passages importants de leur vie. Ce souhait qui vous remue et vous habite, je l’ai ressenti lors d’un récent voyage au Togo l’été dernier. Ce séjour humanitaire m’a offert la joie de la rencontre et de la découverte au sein de villages reculés. Mais au retour, j’ai été confrontée à une autre réalité : l’incapacité de l’Occident à créer des passerelles entre monde matériel et monde invisible et cette absence de « pédagogie initiatique », comme l’appelle Pierre-Yves Albrecht, pour permettre à nos jeunes de devenir des hommes debout. C’est pour pallier ce manque mais aussi pour partager mon enthousiasme que j’ai mis en place à la bibliothèque ce projet pour lequel je me suis abondamment documentée au foisonnant musée des Arts Premiers du Quai Branly à Paris. [1]

Sept rencontres pour un « voyage initiatique »

Au préalable, les enfants ont réalisé en classe un carnet de voyage destiné à les accompagner tout au long des animations. Ils en ont illustré la couverture au moyen de dessins et photos invitant au voyage. [2]

1e et 2e rencontres : Se choisir un nom d’explorateur et des animaux-totems protecteurs… pour le voyage !

Accueillis en cercle comme une tribu africaine dans une tente aux histoires, les jeunes ont découvert le thème du projet avec le livre des Sages Apalants [3] qui nous a servi de fil conducteur. Celui-ci a permis aux enfants de cheminer, à pas lents ! tout au long de l’année au côté d’un grand-père peintre explorateur parti à la recherche d’un fabuleux peuple nourri de musique, de danse et de l’air du temps.

Au son d’un chant africain « Olélé » (tiré de la compilation Comptines du baobab), nous avons ensuite joué avec des jeux rythmiques et gestués pour s’accueillir l’un l’autre dans le village (cfr. www.gesterythme.com). Ce chant est rapidement devenu celui de la tribu-classe !

Pour se préparer au « voyage », chaque élève a également créé sous forme de mot-valise son nouveau nom d’explorateur unissant un mot lié au domaine de l’exploration et le nom d’un animal exotique, choisi comme totem protecteur.

Cet atelier d’écriture ludique fut l’occasion d’une foisonnante recherche lexicale et déboucha sur l’apparition de bien sympathiques noms d’aventuriers : Lama Venture, Tatou Riste… !

Pour terminer cette première partie du projet, chacun dessine son « animal-totem » sur un « sac de voyage » en papier recyclé à la manière des peintures sur écorces aborigènes [4]. Avant de se lancer dans la création, les enfants ont observé cet art primitif encore vivant en Terre d’Arnhem où il symbolise le lien étroit qui unit l’homme à la nature. Ces peintures dites à « Rayons X » [5] représentent les ancêtres zoomorphes pouvant devenir tour à tour colline, courants, rochers… ou tout élément de l’univers relié à l’histoire du clan. Peintes sur fond uni avec des pastelles couleurs ocre, noir, blanc, rouge et des petits points blancs, elles rappellent également la cartographie d’un chemin…

3e rencontre : A l’origine du monde : Danser et faire corps tous ensemble avec le serpent arc-en-ciel aborigène.

Au cours de cette rencontre, nous avons découvert la légende du serpent, Ngalyod, du « Temps du grand rêve » chez les aborigènes [6]. Le serpent est le premier être mythique qui créa toutes les espèces vivantes sorties de terre, de la mer et du ciel pour donner la vie. Formé aux danses primitives avec France Scott-Bilman, j’ai invité les jeunes à danser sur des rythmes primitifs la danse de ce serpent qui symbolise aussi leur corps qui mue. Cette danse collective permet de découvrir notre propre tambour intérieur, notre cœur, et de faire corps tous ensemble. Dans la danse, chacun est mis en situation de conduire ce serpent du clan, en en prenant la tête et en inventant une gestuelle sur les rythmes premiers que les autres suivent. Les jeunes se retrouvent ainsi tour à tour dans la position du « chef » et celle du membre guidé afin de développer la confiance en soi et dans le groupe.

4e et 5e rencontres : Au carnaval, se tatouer et créer des masques maoris… ; rites de puberté.

Le temps du carnaval a été l’occasion de raconter un conte de Nouvelle-Zélande, « Niwareka et Mataora » à l’origine des tatouages en spirale [7]. Le moko-tatouage du visage considéré comme la partie la plus sacrée du corps apparaît comme l’une des parures les plus importantes pour les Maoris, tel un masque ou « nouvelle peau ». [8] Marque de beauté et de prestige social, il impose le respect autant qu’il magnifie rendant le guerrier attirant pour les femmes ! Ces tatouages commençant à la puberté sont accompagnés de beaucoup de rites et de cérémonies également chez les indiens kayapos du Brésil lors de la fête du Bemp. ( [9]) D’un côté, les garçons ont réalisé des masques à la manière des tatouages mokos avec des marqueurs indélébiles. D’un autre côté, les filles ont peint leurs mains avec du maquillage comme de la peinture au henné.

Lors d’un second atelier plus collectif, le clan des garçons « Mataora » a peint un bouclier de parade avec des visages superposés à la verticale à la manière des peintures mythiques de Nouvelle-Guinée [10]. Et le clan des filles « Niwareka » a peint un mandala tout en rondeur et en spirales réunissant leurs mains décorées.

6e et 7e rencontre : Art postal et boites aux lettres d’explorateurs

Durant les deux derniers ateliers, les élèves ont créé des boîtes aux lettres décorées de timbres, d’illustrations tirées d’un livre sur les îles de la Polynésie [11]) intégrées et prolongées avec des crayons aquarellables ; de papier noir avec des poskas blancs pour dessiner des motifs inspirés des maisons ou ornements maoris et enfin des bâtons peints avec des cotons tiges et de la peinture aux couleurs de l’Art primitif. Lors d’un jeu d’écriture, les jeunes ont également réalisé des cartes postales loufoques chargées de bonne humeur.

Célébrer ensemble le chemin parcouru

Au terme de ce périple, les jeunes ont de nouveau dansé ! Ils ont présenté à leurs parents quelques traces de ce parcours à la rencontre des peuples et arts premiers, riche en découvertes mais aussi parfois déroutant….

Les garçons ont présenté une danse avec des bâtons, symbole culturel de l’homme debout, en se suivant dans un labyrinthe symbolique, thème lié dans toutes les mythologies au voyage initiatique. Et les filles ont dansé plus en douceur autour de leur mandala en reliant le ciel et la terre.

Quelle joie de découvrir un matin dans notre propre boîte aux lettres, de nouvelles cartes d’art postal remplies de mercis et de ce que les jeunes aimeraient poursuivre par la suite. Alors merci aussi à eux et à leur institutrice Patricia Roth et…. Bon voyage !

Orientations bibliographiques

 [12] Jeux des peuples et civilisations : Cahier d’activités du musée du Quay Branly, Cécile Guilbert – Brussel / ill.Frédéric Rébéna, Actes Sud Junior, 2012
 [13] Carnets de voyages : l’art de les réaliser, Cécile Filliette, Dessain et Tolra, 2010
 [14]Les Sages Apalants, Marie-Sabine Roger / ill.de Bruno Pilarget, éd. Sarbacane, 2008
 [15] Notre Histoire Sacrée : Peintures Aborigènes d’Australie, Morteza Esmaili, Galerie Yapa, 2009
 [16] L’Art Aborigène, Marine Degli et Olivier Morel, éd. Courtes et Longues (coll. « Toutes mes histoires… de l’art »), 2010
 [17] Kim, le gardien de la terre, Anne Montange / ill. de Emre Orhun, Actes Sud Junior (coll. « Les contes du musée de la musique »), 2007
 [18] Contes de Nouvelle-Zélande, éd. Reflets d’ailleurs.
 [19] L’Art Maori, Marine Degli et Olivier Morel, éd. Courtes et Longues (coll. « Toutes mes histoires… de l’art »), 2008
 [20] Beptopoop, indien kayapo du Brésil, Anne Gély et Guy Lillo, éd. Grandir, 2007
 [21] Carnet de voyage en Ethiopie. A la rencontre des ethnies de la vallée de l’Omo, Sabine Hautefeuille, éd. Reflets d’ailleurs, 2010
 [22] Rouge Kwoma, Peintures mythiques de Nouvelle-Guinée, Musée du Quay Branly, 2008
 [23] La Polynésie, Céline Ripoll / ill. Guy Lillo, éd. Grandir, 2011