Tu la retrouveras

Publié le 31 mars, par Sylvie Hendrickx


Jean Hatzfeld, Tu la retrouveras, Gallimard, 2023

Dans son dernier roman, l’écrivain et ancien reporter de guerre, Jean Hatzfeld nous rappelle avec une intensité saisissante que la guerre n’est pas seulement une tragédie pour l’homme, mais affecte profondément l’ensemble des êtres vivants. Situé durant l’hiver 1944-1945, au cœur de Budapest prise en étau entre l’occupation nazie et l’offensive de l’Armée rouge, le récit entrelace les destins de deux fillettes Izeta, jeune tzigane, et Sheindel, d’origine juive, avec celui des animaux abandonnés du zoo de la ville où elles ont trouvé refuge. Avec une écriture ciselée, Jean Hatzfeld décrit une cohabitation atypique qui confère au roman des allures d’aventure, parfois presque onirique, sorte de parenthèse réenchantée de l’enfance au cœur du fracas de la guerre tandis que les fillettes s’emploient à orchestrer la fuite de ces différentes espèces hors de la ville et que surgissent de ces interactions avec le vivant des instants suspendus : nourrir le bébé orang-outan avec le lait des lamas, observer la malice des hyènes ou l’élégance d’une éléphante... La force de ce récit vient cependant du contraste avec son ancrage dans une réalité quasi-documentaire, que ce soit à travers le destin tragique des minorités représentées par les deux fillettes, le personnage de Dumitru, leur allié inattendu et lieutenant de l’Armée rouge et, en toile de fond, l’avancée des combats avec sa litanie des souffrances infligées tant aux hommes qu’aux bêtes – chevaux sacrifiés, chiens dressés pour la guerre, oiseaux soufflés par les explosions... Même précision et réalisme dans le sort et le comportement des animaux du zoo auquel l’auteur confère, sans tentation d’anthropomorphisme, une présence singulière, soulignant leur individualité et mettant en lumière la formidable voie de reconstruction que peut offrir leur contact aux enfants et tous ceux qui ont la capacité d’entrer en relation avec eux. Une dimension prégnante jusque dans la seconde moitié du livre, quarante ans plus tard, où l’auteur traite avec pudeur du traumatisme des survivants à travers les parcours de Sheindel et Dumitru et leur longue quête commune, toujours marquée par la présence animale, pour retrouver Izeta. Jean Hatzfeld signe ainsi un roman sensible et lumineux, qui explore le pouvoir salvateur du lien entre humains et animaux, faisant de ces derniers non seulement des compagnons d’infortune mais aussi des symboles puissants de résilience et d’espoir face à la tragédie.