Ceci n’est pas un mur… mais un espace lecture !

Publié le 8 octobre, par Sylvie Hendrickx, Valérie Detry


Découvrir l’univers poétique de Magritte, appréhender le concept de liberté et transformer le mur gris du préau d’une petite école rurale en espace invitant à la lecture et à l’écoute des oiseaux, tels furent les défis relevés par ce projet PECA mené durant l’année 2024-2025 par Valérie Detry, animatrice en éducation à la paix et médiatrice culture-école pour la FIBBC avec des élèves de l’école Saint-Joseph de Wellin, grâce à la collaboration des enseignantes Mme Aline Henrotte, déléguée PECA, et de Mme Gwendoline Denin, ainsi que de l’artiste locale Emilie Marson.

 
 

« Pré en bulle »

Située dans une petite commune rurale et proche d’une cité sociale, l’école Saint-Joseph de Wellin dispose pour ses 77 élèves de primaire d’un écrin de verdure privilégié dans lequel « se trouve un préau utile mais terne et peu amène », selon les termes de la directrice Mme Catherine Jaspart. Cependant, depuis quelque temps, l’école a entamé une réflexion sur l’aménagement des espaces jeux des enfants et l’idée a germé chez Mme Aline, enseignante en 4e primaire mais aussi référente PECA de l’école, d’apporter des couleurs à ce lieu par le biais d’un projet porteur de sens et en lien avec l’installation prochaine de boîtes à livres au sein de l’école. C’est dans ce contexte et sur les conseils de Thierry Gridlet, référent PECA du SeGEC, qu’elle a rencontré, pour l’aider dans l’élaboration de ce projet, Valérie Detry, médiatrice culture-école de la FIBBC engagée dans la promotion de la richesse des livres jeunesse, l’approche des pratiques artistiques et l’éducation à la paix.

Aussi, face à l’actualité inquiétante où les « murs » s’érigent de toutes parts entre peuples et où la liberté d’expression semble diminuer en proportion inverse du nombre de prisonniers d’opinion, l’idée a émergé de transformer ce grand « mur » en « fenêtre sur le monde et la nature » par le biais de la réalisation d’une fresque éco-poétique, inspirée de l’œuvre de Magritte. Un projet engagé qui redit l’importance de l’imagination, de la liberté et de l’écoute des oiseaux, pour passer les frontières …

 
 

Introduction : « Nous avons rendez-vous »

Assis en cercle dans la pénombre des rideaux fermés, la classe de 4e primaire, reprise entretemps par Mme Gwendoline Denin, a débuté cette belle aventure, en découvrant le livre éco-poétique de Marie Dorléans, Nous avons rendez-vous. Au centre, avec une petite lanterne (pour rappeler « L’Empire des Lumières » de Magritte), les planches muettes mélangées de ce superbe album ont invité les enfants à retisser l’histoire. Mais avec qui les enfants pourraient-ils bien avoir rendez-vous ? En suivant Madame Valérie et son grand « parapluie Magritte » jusqu’au préau, ils y ont découvert quelques tableaux de ce surréaliste subtilement cachés et évoqués dans les illustrations de l’album de Marie Dorléans, tels que « La Carte Blanche », « L’Empire des Lumières », « The Sixteenth of september »…

Ainsi, l’occasion est donnée d’introduire le projet : « Ceci n’est pas un mur … » et de commencer à découvrir ces tableaux poèmes, entre photographies et rêves surréalistes ou comment l’imagination est capable, par un minuscule détail, de transformer toute la réalité … Et si, nous aussi, nous transformions ensemble le mur du préau de notre école ?

 
 

Premier tableau : un enfant écoute les oiseaux, mi réels mi imaginaires, près d’un grand arbre

Fil conducteur de leur future fresque, les enfants ont découvert l’album de Christian Merveille, L’homme qui écoutait l’oiseau. Celui-ci a permis de vivre un atelier philo sensible autour de la notion de « liberté d’expression », et d’écrire par petits groupes des lettres à quatre prisonniers d’opinion, parmi tant d’autres, en découvrant pourquoi ils ou elles étaient détenus : Dang Dinh Bach, Mariya Kalesnikava, Neth Nahara (libérée depuis) et Manahel Alotabi, afin qu’ils gardent espoir, comme les oiseaux venus rendre l’espérance à l’homme emprisonné de l’histoire.

Ensuite, la rencontre, cette fois, de l’album La Volière dorée de Carll Cneut et Anna Castagnoli a permis de s’interroger avec les enfants sur la notion de liberté/cage et réveiller leur imagination au cours d’une première réalisation. À chacun de créer son propre « oiseau imaginaire » en choisissant tout d’abord une « tête d’oiseau » reproduite à partir des illustrations de C. Ckneut ; en la prolongeant au crayon gris ; puis habillant le corps au moyen de papiers à encoller (comme les collages des surréalistes) autour d’une tonalité.

 
 

Second tableau : la grande fenêtre transformée en livre-cabane au milieu d’une végétation foisonnante

C’est ensuite la découverte des fresques de l’artiste engagé Bansky aimant imaginer des mondes meilleurs en peignant des ouvertures sur des murs tel celui entre Israël et la Palestine qui ont conduit les enfants à imaginer la transformation de la fenêtre du mur du préau en couverture de livre-cabane « afin de permettre à chacun », selon leurs mots d’enfants, « de s’imaginer un autre monde grâce à la lecture ».
Ce livre-cabane a également été inspiré par l’affiche du salon du livre de Bruxelles de cette année 2025 où les livres éco-poétiques ont été mis à l’honneur en soulignant l’importance pour les médiateurs du livre de créer avec les enfants, petits et grands, des nouveaux récits invitant urgemment à réécouter ce que la nature a à nous dire …

L’aventure se poursuit ensuite à partir du livre File au musée : les enfants philosophes interrogent les artistes, (Phileas et Autobule) questionnant le « rôle de l’imaginaire » et l’univers poétique des surréalistes tel que Magritte autour de notre rapport au monde : Peut-on tout imaginer ? Magritte peint-il des choses qui existent ou qui n’existent pas ? Que serait surtout le monde sans imagination ?

Dans cette lignée, la lecture des ouvrages Les Oiseaux de Germano Zullo et Albertine et de L’arrosoir de Julien Baer et Marie Dorleans —où un minuscule détail peut tout changer — a permis de prolonger ces réflexions et d’inviter les enfants à plonger dans l’univers surréaliste où la nature prend le dessus.

 
 

Dernier tableau : une page s’envole de ce livre-cabane sur laquelle les enfants ont posé quelques mots-poèmes entendus à l’écoute des oiseaux

Avec le réveil du printemps et des oiseaux, les enfants ont été invités à sortir les écouter… puis à en choisir un de nos régions et à composer une petite poésie au départ d’une structure très simple inspirée par l’album La chanson de l’étourneau d’Octavie Wolters.
 
 

 
 

Réalisation de la fresque « Ceci n’est pas un mur …

Toutes ces découvertes et immersions artistiques et poétiques ont ainsi mené au premier jet de leur grande fresque collective réalisée sur un grand rouleau de papier épais aux moyens de peinture et de pastels à l’huile aquarellables. Les enfants y ont encollé leurs oiseaux imaginaires et inscrit des mots poétiques issus de leurs petites créations. Ce premier jet sera, par la suite, reproduit, simplifié et amélioré sur le mur du préau.

Mais avant cela, tout le monde a « filé au musée » Mudia de Redu. Les élèves y ont rencontré l’artiste-plasticienne Emilie Marson. Une belle excursion pour s’émerveiller et y trouver, peut-être quelques conseils des grands artistes afin de peaufiner leur projet de fresque. En suivant le grand « fleuve de l’art », le regard des enfants a été attiré par les grandes fresques de Cimabue à la chaux et surtout par le triptyque de Jérôme Bosch « La Tentation de saint Antoine ». Celui-ci leur a donné l’idée de structurer leur propre fresque en trois volets, en correspondance avec les trois parties du livre L’homme qui écoutait l’oiseau.

Pour cette dernière étape, Emilie Marson est venue à l’école Saint-Joseph pour accompagner et guider de ses conseils la fresque des enfants. Après avoir repeint le mur en blanc avec quelques institutrices et même la directrice Mme Jaspart, l’esquisse a été réalisée et chaque enfant est venu peindre son oiseau aux posca de couleur, le contourner en noir pour le contraste et réécrire certains messages des oiseaux sur la page blanche.
 
 

… mais un espace lecture nature ! »

Ce beau et grand projet PECA n’aurait pas pu se concrétiser sans l’investissement magnifique de leur institutrice Mme Gwendoline Denin et l’enthousiasme des enfants. Il s’est clôturé par une présentation festive de leur fresque face à des parents, amis de l’école, membres du P.O., et même journalistes de TV lux émerveillés [1] … Cette célébration est en réalité tout un travail en soi, permettant également aux enfants de se rappeler toutes les rencontres qui ont jalonné le projet les transformant petit à petit en artistes-naturalistes pour regarder le monde avec leurs yeux de poètes !

N’ayant pas pu bénéficier de subsides, ce projet PECA-Lecture a néanmoins été soutenu au dernier moment par le SeGEC en tant que « Projet prophétique » ! Rien que ça.

Et débute à présent une autre aventure avec des boîtes à livres en forme de nichoirs qui ne demanderont qu’à s’animer ou permettre aux enfants de rêver lors des futures récrés de cette rentrée ! Belle écoute donc à toutes et tous des « bruissements de la nature » …

 
 
Bibliographie

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