Ceci n’est pas un fait divers

Publié le 29 mars 2023, par Sylvie Hendrickx


BESSON Philippe, Ceci n’est pas un fait divers, Julliard, 2023

En octobre dernier, la Belgique s’est dotée d’un projet de loi pionnier dans la lutte contre le féminicide. Une avancée majeure dans la reconnaissance de ce type de crime dont la spécificité, encore trop souvent minorée, se trouve heureusement de plus en plus décryptée. En témoigne, en cette rentrée littéraire, le documentaire édifiant Nos absentes, pourquoi le féminicide ? (Seuil, 2023) de la journaliste française Laurène Daycard qui met en lumière les mécanismes glaçants de ces crimes liés le plus souvent à un contexte de violences conjugales récidivistes. Du côté de la fiction, l’écrivain Philippe Besson s’empare lui aussi de cette thématique dans un roman fort, intimiste et sensible, inspiré du drame familial bouleversant qui lui a été confié par un de ses jeunes lecteurs. Animé d’une volonté de réparation par l’écriture ainsi que par la nécessité de donner la parole à ces victimes collatérales trop souvent ignorées, l’auteur nous confronte avec une acuité sidérante au terrible vécu des enfants du féminicide.

Dès les premières pages, le funeste décor est planté : « Papa vient de tuer maman. » Par ces quelques mots, Léa, 13 ans, annonce à son grand frère, narrateur de 19 ans, l’horreur dont elle vient d’être témoin. Avec tact et sobriété, l’auteur déroule ensuite le difficile cheminement émotionnel de ces adolescents tout au long de au long de l’enquête et du périple judiciaire qui les confrontent à leur vie dévastée et à leur père devenu meurtrier. L’auteur dissèque en outre finement, à travers les interrogations nourries de culpabilité de son narrateur, la mise en place du sombre continuum qui mène au drame : violence conjugale, dissimulation par la mère, déni des proches et manquement du système judiciaire. Philippe Besson pose ainsi le sombre constat d’une défaillance généralisée qui fait du féminicide, bien plus qu’un fait divers, un fait de société sur lequel il est urgent d’ouvrir les yeux. Difficile récit d’un drame trop fréquent, ce roman porte également en lui une part de lumière, celle du long combat du narrateur pour accompagner sa sœur, dépasser le traumatisme et espérer, à force de résilience et d’amour fraternel, reconstruire leur vie.