Automne-hiver : moment propice à des actions autour des grainothèques en bibliothèques ?

Publié le 18 janvier 2022, par Françoise Vanesse


Depuis plusieurs années, bibliothécaires et animateurs membres de la FIBBC organisent, animent et gèrent une grainothèque au sein de leur bibliothèque.

Les uns comme les autres accordent aux grainothèques de multiples vertus car « grainothèque » et « bibliothèque » partagent des principes communs : celui du prêt, de l’échange, du partage d’un bien collectif, de la transmission de savoirs, etc.
Organiser une grainothèque mobilise donc des compétences professionnelles similaires à l’organisation et la gestion d’une bibliothèque, du point de vue bibliothéconomique (valoriser la diversité des collections documentaires, promouvoir la lecture informative, favoriser l’expression de certains usagers vers d’autres usagers, répondre aux besoins d’éducation permanente prévu dans un PDL, etc.), environnemental (favoriser la biodiversité, la dissémination de variétés locales, etc.), social (initier des échanges informels entre usagers sur des thématiques autres que la littérature, collaborer avec des partenaires que les acteurs culturels, etc.)

Les gestionnaires et les animateurs d’une grainothèque en bibliothèque sont toutefois confrontés à une difficulté récurrente : il s’agit d’un projet saisonnier qui vit et s’anime principalement au printemps avant qu’ensuite il ne s’endorme (profondément) … au point que les bibliothécaires se questionnent sur la pertinence de ce type de projet.

Dans la plupart des expériences observées dans les bibliothèques en FWB, les grainothèques y sont nées aux premiers beaux du printemps (depuis 2014 pour les pionnières). Elles sont, à chaque création ou à chaque remise en activité, appréciées pour les ouvrages d’informations, les conseils, les ateliers et les graines que les lecteurs et les curieux y trouvent. Des nombreux petits sachets de graines y sont prélevés par les jardiniers amateurs qui fréquentent les bibliothèques. Le principe des grainothèques en bibliothèques est d’offrir aux intéressés quelques sachets de graines (de moins de 10 gr), au titre de prêt gratuit jusqu’à la prochaine saison : à charge de l’emprunteur de rapporter à l’automne une part de sa production propre de graines afin que d’autres amateurs puissent par la suite tenter l’aventure.

L’attention que la FIBBC a consacrée aux grainothèques en bibliothèques fait cependant apparaître que pour éviter que le stock de graines ne soit « dévalisé » au printemps sans réciprocité à l’automne, il est préférable d’amorcer une dynamique d’informations, d’échanges et de partages en début d’automne.

De plus, des activités prévues au printemps s’inscrivent dans une forme d’activisme et dans une dynamique de « production » verte. La pratique fait apparaitre, au contraire, que des actions prévues à l’automne sont plus favorables à une conscientisation environnementale, à une réflexion à moyen ou long terme, à des pratiques de lecture et d’expressions.

Comment procéder ?

Projeter un film en lien avec le sujet dès la fin d’été ou le début de l’automne, organiser une conférence, mettre sur pied un atelier de conditionnement de graines récoltées par des lecteurs, initier des séances d’identification de graines, etc. Ces exemples constituent autant d’occasions d’informer sur les vertus de la biodiversité, des circuits courts et de l’autosuffisance semencière. Le printemps sera une étape de relance importante : des lecteurs et usagers déjà informés et conscientisés ne se précipiteront pas sur les sachets de graines sans discernement mais en meilleure connaissance de cause. La grainothèque de la bibliothèque n’en sera que plus dynamique. Elle ne sera plus vue comme une pourvoyeuse de graines à peu de frais mais comme un lieu d’échanges (de ressources et de savoirs) et comme une possibilité originale pour tester de nouvelles variétés de légumes et de fleurs chez soi, avec un groupe, etc.

La bibliothèque et sa grainothèque rempliront donc mieux leur rôle de passeurs, d’incubateurs pour un esprit critique accru et mettront en avant une mission d’engrais au développement des pratiques langagières.

Dans ce souci de maintien d’une activité continue des grainothèques en bibliothèques en automne-hiver, la Bibliothèque centrale de la Province de Luxembourg (qui coordonne un réseau de 16 grainothèques) s’est impliquée (avec un relatif succès) à la campagne initiée par la Région wallonne « Yes we plant ».

Parce que arbres et haies sont essentiels à la préservation de la biodiversité, à la modération des risques d’inondations, à la captation de carbone, à l’amélioration de la fertilité des sols, à la protection des nappes phréatiques, … la Région wallonne a conçu ce programme ambitieux de plantations de haies. A la suite d’aides aux plantations et de contributions à leur entretien, elle soutient également la production rapide de plants. Toutefois, pour produire des plants, il est nécessaire de disposer d’une grande quantité de graines indigènes. C’est donc dans cet objectif spécifique que le SPW Environnement a lancé des campagnes de récoltes de graines vers les citoyens.

En octobre et décembre 2021, la Bibliothèque centrale de la Province de Luxembourg a relayé deux initiatives de récolte des graines dans le cadre de « Yes we plant » vers les seize bibliothèques de son territoire organisant une grainothèque.

En octobre, bibliothèques et lecteurs ont participé à l’appel Haie-cureuil. Il s’agissait de récolter des noisettes de noisetiers sauvages. Des cueilleurs de tous les âges, de huit bibliothèques différentes, ont arpenté haies, chemins et taillis. Ils ont récolté près de trois kilos de noisettes (soit plus de mille fruits) : de quelques noisettes précieusement glissées dans une enveloppe par de jeunes enfants à plusieurs centaines de grammes collectées par un lecteur-randonneur assidu. Ce stock a été séché et conditionné par la Bibliothèque centrale qui l’a ensuite déposé au Comptoir forestier, situé à Marche-en-Famenne. Ce lieu d’exception avait d’ailleurs accueilli, en 2017, une journée d’échanges professionnels « grainothèques », organisée par la FIBBC. Ce centre a pour mission de récolter des graines d’espèces forestières wallonnes et de les commercialiser afin de valoriser le patrimoine forestier wallon, de réduire la dépendance vis-à-vis de la production étrangère, de garantir la biodiversité et la pérennité de la forêt. Les noisettes des grainothèques de la Province de Luxembourg y ont ainsi rejoint les deux cents kilos collectés dans toute la Wallonie. Une part des noisettes décortiquées a directement été mise en culture par le personnel du Comptoir forestier. Les jeunes plantules seront vendues à des pépiniéristes wallons dès ce printemps. Par contre, le lot des grainothèques luxembourgeoises, vu son hydrométrie faible, a été placé en frigo et sera mis en culture par la suite. Il sert de tampon stratégique, au cas où la fructification des noisetiers en 2022 serait plus faible que cette année. Il garantira ainsi une continuité dans la production de plants.
Cette collecte de noisettes a offert aux bibliothèques d’informer leurs usagers et leurs partenaires sur l’importance de la plantation de haies, sur la richesse de notre environnement. Des livres, ouvrages et documents ont été mis en évidence. L’attention des lecteurs a, à nouveau, été attirée vers les grainothèques, alors qu’ils les croyaient en « hibernation ».

Riche du succès cette collecte de noisettes, la Bibliothèque centrale a proposé ensuite aux bibliothèques de son territoire de compétence de s’inscrire dans le projet « Haie-glantier ». Cette fois, la Région wallonne invitait les citoyens à récolter des cynorrhodons, fruits de l’églantier. Ces baies charnues, de forme ovoïde et d’une couleur rouge-orangée en septembre, arrivent à pleine maturité en novembre-décembre. Des simples gratte-culs aux teintes vives, ils deviennent une réserve de 20-30 graines jaunes après les premières gelées, dans une coque ramollie brunâtre. C’est donc au moyen de gants (pour éviter les épines nombreuses des églantiers) que les lecteurs des grainothèques ont mis à profit les congés de fin d’année pour partir à la chasse à ces petits fruits encore nombreux à rester fixer aux tiges souples et rebondissantes des arbrisseaux. Pour l’occasion, les bibliothèques ont donner aux amateurs les moyens de bien identifier les églantiers sauvages et de délaisser les variétés horticoles ornementales. La richesse de leurs livres documentaires et de leurs documents iconographiques s’est révélée opportune. Le récit de collectes épiques, menées en groupe ou individuellement ont animé des séances de prêt et des journées moroses. Les fruits de ces expériences sont actuellement mis au séchage par la Bibliothèque centrale de la Province de Luxembourg qui procédera à l’étiquetage et au conditionnement. Il est en effet impératif de bien identifier le lieu de collecte : celui-ci déterminera le biotope le plus favorable à une nouvelle plantation. Les sachets des lecteurs-cueilleurs motivés seront ensuite déposés, à nouveau au Comptoir forestier, pour une mise en culture rapide et une vente au bénéfice de notre qualité environnementale.

Ces exemples de collectes et d’animations de grainothèques en bibliothèques en dehors de la haute saison (printemps) peuvent sans doute se montrer inspirants pour les autres bibliothèques. C’est du moins ce que vous souhaite la FIBBC pour 2022 … avant de retrouver les animateurs et bibliothécaires intéressés lors d’une nouvelle journée de formation prévue le mardi 3 mai 2022 à Desnié (Theux).