Lettre aux grandes personnes sur les enfants d’aujourd’hui

Regards croisés sur de la lecture avant toute chose

Publié le 9 novembre 2009, par Gérard Durieux


Quelle éducation pour les adultes de demain ? Une problématique d’actualité abordée par ce spécialiste qui formule ici des propositions innovantes dont notamment le rôle primordial joué par la lecture qui inculque aux enfants le temps de l’attente...

MEIRIEU Philippe, Lettre aux grandes personnes sur les enfants d’aujourd’hui, Rue du monde, 2009.

« Quels enfants allons-nous laisser au monde ? » s’interroge d’emblée cet expert pédagogue. Voilà qui est clairement posé, dès l’introduction de ce livre engagé et très stimulant qui se compose de trois parties.

Une première, d’allure historique, brosse de manière éclairante l’évolution de l’institution scolaire, aborde la position des divers tenants d’une « pédagogie émancipatrice » et conclut sur la nécessité d’une articulation étroite entre deux démarches qui doivent se féconder réciproquement : la finalisation qui permet la découverte et la formalisation qui favorise l’appropriation.

Une deuxième partie nous entraîne au cœur des questions vives. Car dans le contexte actuel, marqué par la disparition des grands systèmes religieux et politiques qui a conduit à « l’individualisme social » et le contrôle de la natalité qui fait de « l’enfant du désir » le roi du monde, à quoi donc éduquer nos enfants ? Ces réalités nouvelles laissent l’adulte désemparé, perplexe, talonné par l’urgence et assigné à l’improvisation : que faire et comment si l’on veut assumer le « choix d’éduquer » cet être à la fois complet et inachevé qu’est l’enfant ?

On soulignera dès lors la pertinence et la richesse de la dernière partie de l’ouvrage où l’auteur, en notations claires, pratiques et souvent incisives, recueille et partage avec passion et compétence le meilleur de son expérience : différer, entrer dans le symbolique et dans la culture, parler et penser juste, habiter le monde. Les pages innovantes consacrées à l’écriture et à la lecture retiendront tout particulièrement l’attention : elles sont réfléchies ici comme deux compétences essentielles au service d’une éducation qui doit viser essentiellement à « apprendre à attendre », à contenir le débordement des pulsions archaïques qui hantent le psychisme enfantin, à apaiser le tyran impulsif qui est en soi, à donner du temps au temps.

Si donc l’éducation est bien « une promesse qui doit être tenue », il importe d’apprendre la retenue. Seule une pédagogie du sursis permet d’accéder à l’intériorité. La lecture et l’écriture, qui inscrivent la parole dans des rituels maîtrisés et ancrent l’enfant dans l’univers symbolique où l’échange sans violence devient possible, constituent les chemins majeurs de cet apprentissage vital : « Quand quelqu’un parle, il fait jour ». Passionnant !