ETATS GENERAUX ... GENEREUX ET DESARGENTES !


La grande opération « Etats généraux de la Culture » est lancée. Toutes les parties concernées à la cause sont invitées à des rencontres où l’on veut réfléchir, comme dit la note de la Ministre Laanan, au vrai rôle de Culture qui est de « ... donner les moyens de comprendre, de militer contre le pire, d’armer l’intelligence pour combattre la bêtise et d’inventer de nouvelles possibilités d’existence... Le but est de redéfinir les objectifs, les finalités et les priorités de l’action publique dans les matières culturelles, dans une approche globale et transversale... ». Le message a été fort bien reçu par les professionnels de la culture. De fait, il y a, dans cette démarche, un côté innovant qui tient au fait de croire en la vertu de la concertation et à la capacité des intervenants à procéder, eux-mêmes, au diagnostic de la situation. On peut en attendre une créativité importante. Il y a cependant de solides risques que l’on se doit d’avoir à l’esprit.

Agir ou écouter ?

L’action « à tout prix », sans être assortie d’une réflexion préalable ayant balisé le terrain, n’a pas grand intérêt. Il y a cependant des temps où il faut avoir le courage de prendre des décisions. Ainsi, en bibliothèques, l’Etat fédéral a décidé qu’une taxe de « droit d’auteur sur le prêt » était applicable à partir du 1er janvier 2004. Jusqu’aux élections de l’année dernière, la Communauté française avait déclaré qu’elle acquitterait, de ses deniers, cette charge fédérale. Les bibliothèques, rassurées, n’avaient pas répercuté cette somme sur leurs lecteurs. Aujourd’hui, les sociétés de droit d’auteur leur demandent d’ouvrir le tiroir caisse avec effet rétroactif et la Communauté n’a toujours pas désigné ses négociateurs dans ce dossier ... Le processus des « Etats généraux » prendra fin en novembre 2005. Peut-on compter sur 18 mois d’état de grâce ? Tempus fugit. Le temps s’échappe très vite des mains de nos décideurs. Ne risque-t-on pas de prendre des retards considérables dans certains dossiers et cela ne nous mènera-t-il pas, faute de prendre des décisions en temps utile, à des situations futures extrêmement compliquées à débroussailler ?

Paroles et actes...

En partant des « bibliothèques publiques incontournables dans le domaine de l’éducation » de Pierre HAZETTE, en passant par « les bibliothèques et le livre, mes priorités » de Richard MILLER, pour arriver au « dans le cadre étroit de nos marges, le livre, les bibliothèques, la lecture publique sont restés en rade » d’Olivier CHASTEL et au cri « la politique de lecture publique est l’un des piliers de la politique du livre. La bibliothèque est le lieu privilégié d’où peuvent s’établir des synergies avec les autres secteurs culturels » de Fadila LAANAN, ces cinq dernières années, les bibliothèques ont fait l’objet de beaucoup d’intérêt verbal de nos ministres. Les politiques culturelles en matière de lecture, cela existe-t-il ailleurs que dans les discours ? Si le budget peut être considéré comme le lieu de concrétisation des choix ministériels, alors le constat se doit d’être sévère. Entre 2001 et 2005, le budget consacré à la Lecture publique a augmenté de 2,27% (243.000 €, moins que l’index !) alors que la musique augmentait de 23,09% (+ 5,2 millions €), les centres culturels de 21,18% (+3 millions €), l’éducation permanente de 29,49% (+5,3 millions €), la jeunesse de 20,75% (+2,6 millions €), le théâtre de 13,88% (+3,6 millions €), le Patrimoine et Arts plastiques de 44,89% (+3,7 millions). Dans le même temps, le budget de la RTBF augmentait de 17 millions € soit 70 fois l’évolution du budget de la Lecture publique.
Verba volant. Scripta manent.

Errements budgétaires communautaires

Dans les accords de 2002 de la St Polycarpe-Boniface, une somme de 45 milliards € devait être affectée à la Communauté française. Mis à part un fonds « écureuil », le solde devait être réparti à raison de 75% pour l’enseignement et 25% pour d’autres politiques. Dans celles-ci, la priorité n°2 était : « Revalorisation des missions des bibliothèques publiques » avec une projection budgétaire d’une augmentation en milliers d’euros des budgets du secteur de 308 en 2003, 680 en 2004 et 2.046 en 2005 (soit une augmentation de plus de 3 millions d’euros). Pourquoi ce plan a-t-il été appliqué et respecté dans beaucoup de secteurs et ne l’a-t-il pas été en Lecture publique où l’augmentation réelle fut 24 fois inférieure à ce qui avait été promis en 2002 et s’est soldée par une maigre croissance de 123.000 € ?

Si l’on examine l’évolution budgétaire de la Communauté française, depuis les années soixante, on constate que si l’ensemble des secteurs culturels était, à l’origine, à peu près au même niveau, la Lecture publique a vu son budget multiplié par 11, la Musique a bénéficié d’un coefficient multiplicateur de 28, de 30 pour le Théâtre et de 40 pour l’Education permanente/Jeunesse.
Comment ne pas rire jaune en voyant l’évolution des masses budgétaires affectées aux animations en Lecture publique. Entre les deux enquêtes PISA (2000 et 2003), les subsides octroyés à la politique d’accueil des élèves et aux animations en bibliothèques ont été divisés par 10. En 2005, la masse totale des aides financières octroyées pour les animations aux bibliothèques est de 82.000 € (soit 7 fois moins que la dotation du Front National). Choix de société !

Il est manifeste qu’au cours des arbitrages auxquels le politique doit faire face, la Lecture publique ne l’intéresse pas très fort. Parce qu’une bibliothèque qui meurt cela ne fait pas beaucoup de bruit, parce que le peuple des bibliothécaires est cadenassé par les multiples facettes de ses pouvoirs organisateurs, parce que le soutien à une bibliothèque n’est pas très « sexy » électoralement, on laisse ce secteur s’étioler, s’estomper malgré les résultats criants à l’action des diverses enquêtes PISA. Les bibliothèques ont du mal à croire qu’elles peuvent faire confiance à une Communauté qui montre, par ses actes concrets, quarante ans de désintérêt...
Elles seront cependant présentes, avec leurs associations professionnelles, aux Etats généraux pour prouver tout le dynamisme de leur secteur et avec des suggestions et des propositions qu’elles aimeraient faire entendre.

Jean-Michel DEFAWE
Président de la FIBBC